Ce blog essaye de se remettre au rythme hebdomadaire qui fut le sien en fin de saison dernière et a calé son jour de parution sur celui de la sortie des nouveaux films en France : le mercredi.
L'occasion, les semaines où l'inspiration manque, de s'appuyer sur l'une ou l'autre des nouveautés sorties en salle pour distiller quelques informations historiques, politiques, économiques, bref toutes choses plus ou moins savantes histoire de faire son cultivé.
Quelques affiches remarquées sur les chemins des transports en commun (abri-bus, couloirs de métro) m'ayant appris qu'aujourd'hui sortait une biocinégraphie de James Brown, pourquoi ne pas partir de ce qui, si j'en crois la bande annonce, constitue l'un des temps forts du film : son concert donné au Boston Garden le 5 avril 1968, soit le lendemain de l'assassinat de Martin Luther King d'une balle de fusil tirée dans la mâchoire.
La légende veut qu'à cette occasion, James Brown, en maintenant ce concert également retransmis sur la chaine de télé éducative WGBH puis rediffusé en boucle toute la nuit, ait évité une nuit de violence terminale dans la région.
Car quatre ans après l'été 64, celui des Civil Rights – qui, dans notre temps pourtant friand de commémorations, a été fêté pour le moins discrètement par ici – les tensions ont été paradoxalement exacerbées plus qu'éteintes par la marche vers un semblant d'égalité.
Quand Martin Luther King se fait assassiner, son leadership au sein de la communauté noire est déjà contesté ainsi que le principe-même d'action non violente.
En entrevoyant la possibilité d'en terminer avec des siècles d'iniquité, la brèche s'est trouvée prise d'assaut. De l'espoir est vite venue la brutale impatience d'en finir avec le système de hiérarchie des races. D'en finir et de réclamer des comptes.
A quelques kilomètres à peine du Lorraine Motel, au deuxième étage duquel se tenait Martin Luther King quand une balle de fusil lui frappa mortellement le visage, un autre symbole de la grande réconciliation possible vacille. Le label Stax, plus important producteur de musique soul avec le concurrent de Detroit, Motown, label mixte avec un fondateur blanc, Jim Stewart et un vice-président - et véritable dirigeant - noir, Al Bell, voit ressortir les tensions raciales dont elle se pensait à l'abri ou que certains n'avaient peut-être pas voulu voir avant.
« Et tout d'un coup, les gens remarquaient qu'on était blancs. » Wayne Jackson, trompettiste chez Stax, cité par Peter Guralnick
Plus généralement, le monde de la musique, d'abord porteur de grandes espérances fut plus que secoué par les soubresauts lors de la gueule de bois post 64. En août 1968, une convention de professionnels à Atlanta fut l'occasion de revendications et manifestations particulièrement brutales (extorsions, enlèvements, menaces de mort et effigies de producteurs pendues ou brûlées en place publique). A la fois au cœur et à la source des violences, un comité créé pour l'occasion, le Fair Play Committee, avec pour objectif « d'arracher l'argent et le pouvoir des colonialistes blancs qui contrôlaient encore la musique noire. » A la légitimité de la demande se mêla l'agressivité de la méthode aggravée par la participation d'un certain nombre de malfrats attirés par la possibilité d'un magot à partager. D'où un épisode suffisamment traumatisant pour qu'un certain nombre de personnes se retirent du business musical – sans pour autant que la répartition des rôles ne change, les labels indépendants laissant la place à de plus grosses compagnies aux directions toujours aussi blanches. D'où également une incompréhension entre d'un côté le sentiment d'avoir fait preuve de générosité et d'avoir accordé des places et, de l'autre le sentiment de bénéficier d'aumône et la frustration d'être bloqué aux rôles des subalternes.
« Il fallait que les cadres noirs et les cadres blancs se regardent dans les yeux pour se dire quels étaient les vrais problèmes. Les Noirs faisaient la musique, les Noirs constituaient le public – mais les Blancs possédaient tout. » Homer Banks, songwriter chez Stax, cité par Peter Guralnick
Ce qui s'était déroulé à l'échelle du petit milieu musical eut des équivalents dans d'autres pans de la société. Les débordements et radicalisations, auxquels l'époque se prêtait aussi, bénéficièrent d'une publicité suffisante pour que les indifférents et les modérément bienveillants, à la fois effrayés par les scènes de violence et par l'effrayante perspective de voir se rapprocher d'eux le groupe immédiatement inférieur dans l'échelle des difficultés, se rapprochent des opposants farouches aux politiques d'intégration et d'affirmative action.
Triste gâchis quand on considère ce que permit le Civil Rights Act de 1964 : de 1965 à 1969, le pourcentage de Noirs gagnant moins de 3000 dollars par an a diminué, tandis que le taux de Noirs gagnant plus de 10 000 dollars atteignit 28%, le revenu annuel per capita aux États-Unis en 1969 était de 9 816 dollars. En 1965, 10% des Noirs allaient à l'université ; ce chiffre grimpa six ans plus tard à 18% . De même, le pourcentage de familles noires situées en dessous du niveau de pauvreté passa de 48,1% en 1950 à 27,8% en 1974.
Quarante ans plus tard, ce taux de pauvreté est toujours de 27% quand il est de 14,5% pour l'ensemble de la population.
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