Les interventions de Daniel Cohn-Bendit au Parlement européen sont assez populaires.
Enfin, relativement à l’indifférence que suscitent généralement les débats qui ont lieu dans l’une ou l’autre ville qui accueille cette belle institution.
Il y a en lui quelque chose de Mr. Smith au Sénat, à ceci près qu’on est assez loin de l’élégance désuète et gauche de James Stewart.
D’une construction assez brouillonne, appuyés par une diction au relâchement quasi présidentiel, ses discours aux manières parfois rudes sonnent aux oreilles trop amatrices ou habituées aux roueries cyniques comme de naïves évidences, de l’indignation inutile ou du catéchisme bien pensant tout juste assaisonné d’un peu de franc-parler.
Pour d’autres, dont je suis, il n’est pas exclu d’y trouver, souvent, justesse et profondeur.
Comme dans cette remarque à propos de la timidité de certains de ses collègues parlementaires devant les derniers événements hongrois :
« Se battre pour la liberté et la démocratie on le fait, quand on est fort, contre sa propre famille. »
La logique du clan comme obstacle à l’exercice démocratique.
Dans une tribune récente, l’écrivain Hongrois György Dragoman ne semblait pas en désaccord avec cette analyse, voyant dans la «mentalité du bunker, le "celui qui n'est pas avec nous, est contre nous" » l’une des origines du « problème hongrois ».
Mais c’est à un autre Hongrois que me fit penser la phrase de Daniel Cohn-Bendit.
Il s’agit d’István Bibó, découvert il y a peu grâce au livre Esprits d’Europe écrit par Alexandra Laignel-Lavastine.
Comme je ne manque jamais une occasion de vous faire partager ma bibliothèque et, par là, de prendre la pose du cultivé, permettez que j’en dise ici quelques mots.
István Bibó, penseur politique né au début du vingtième siècle à Budapest, a connu l’invasion nazie, la prise de pouvoir communiste et l’écrasement du printemps hongrois en 1956.
Autant dire que ses réflexions sur les dangers pesant sur les démocraties s’appuient sur quelques expériences de première main.
Selon, lui, il y aurait principalement trois voies dangereuses, se terminant en impasses, dans lesquelles les démocraties se condamnent elles-mêmes.
Première impasse : quand l’Etat d’exception devient la règle et que les restrictions de libertés sont durablement sacrifiées sur l’autel de la communauté en péril.
Deuxième impasse : l’oppression des minorités, ou quand deux camps se radicalisent dans la justification pour lutter, l’un contre l’oppression, l’autre contre le danger que ceux qui se posent en victimes font peser sur la cohésion de la majorité ; le tout dans une circularité mortifère.
Troisième impasse : quand les élites rejoignent « l’autojustification communautaire » et ne sont plus capables du plus petit recul face aux agissements de leur famille.
Trois impasses devant lesquelles les démocraties ne peuvent, selon István Bibó, trouver leur salut que dans une posture d’autocritique qu’Alexandra Laignel-Lavastine appelle « la voie reconstructive du réalisme moral » et qu’elle décrit ainsi :
« La dimension reconstructive du réalisme moral prônée par Bibó repose sur la conviction que seul l’entretien d’une relation critique à soi, à son passé récent, son histoire ou son groupe de référence, peut à terme introduire une brèche dans le cercle stérile de l’auto-apologétique et de la martyrologie collective. Et, de là, surmonter les blocages qui obèrent la coexistence pacifique entre communautés. Dans ce domaine, il n’est pas d’autre solution que de commencer par soi. »
Avoir le courage de penser contre soi, contre son camp. En somme, c’est une leçon hongroise, et une des plus belles, que Daniel Cohn Bendit a jeté à la figure de Viktor Orbán.
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