Cher François Hollande,
J’ai bien reçu votre lettre de souhaits qui, malgré le flot de celles adressées au Pôle Nord (via Libourne) m’est donc bien parvenue.
Dans celle-ci, vous me demandez de participer à votre victoire, laquelle pourra, selon vous, permettre à la France d’avoir « l’avenir qu’elle mérite ».
N’ayant pas de sombres desseins pour la patrie qui m’a vu naitre et aidé à grandir, croyez bien que je suis sensible à cet appel.
Et, au risque de passer pour l’élève de premier rang toujours prompt à devancer l’autorité professorale, sachez que je comptais glisser votre nom dans l’urne deux fois encore. Non non, ne me remerciez pas, remerciez plutôt mes parents, grands-parents ou, plus généralement, l’atavisme qui guide la plupart des choix électoraux.
Cependant, et afin, que je ne me donne pas trop la désagréable impression d’être un électeur facile, puis-je me permettre de vous demander de m’aider un tout petit peu pour ce faire.
Car, depuis votre investiture, je déplore que vos prises de paroles en public ne soient devenues chiches de contenu et le plus souvent guidées par des postures d’opposant réflexe ne formant son avis qu’au coup par coup, à l’occasion de micros tendus et toujours à la suite des dernières déclarations, actions ou projets gouvernementaux.
Il y a quelques mois pourtant, votre parti, qui fut aussi le mien (ce qui aurait d’ailleurs dû imposer un tutoiement dans notre correspondance) m’avait donné l’impression d’être aux commandes des débats.
Quelques points de vue sociétaux offensifs vous donnaient l’agenda comme on dit chez Apathie et Duhamel, et avaient eu le talent de mettre un peu de désordre dans les alignements de godillots de vos adversaires politiques.
A ce moment, je me disais qu’il ne vous manquait plus que quelques propositions économiques à la fois robustes et suffisamment simples pour être reprises par un grand nombre de gens pour que vous puissiez avancer sur deux jambes puissantes jusqu’au palais élyséen.
Seulement, passé ce bref instant d’offensive, le PS, se contenta d’une jambe qui, à force de semi reculades, ne devait même plus s’appuyer que sur une pointe d’orteils terrifiés par la température du bain.
Vous me pardonnerez je l’espère mais vous premiers de candidats n’ont pas l’air beaucoup plus assurés.
Et, sans aller jusqu’à vous prédire un destin similaire à celui de votre prédécesseuse dans la grande course quinquennale, il ya quelques inquiétudes et autres agacements qui, de mon côté, montent.
Dernièrement, votre intervention sur la renégociation de l’accord européen de Bruxelles, réduite à un refus un peu borné et contre productif, acheva de me désespérer.
Sans forcément faire l’apologie de votre principal concurrent et président en exercice vous auriez, me semble-t-il, pu simplement souligner que l’heure étant grave et les intervenants nombreux, l’accord obtenu est un mal nécessaire mais dont il ne faut pas se contenter.
Mais aussi rappeler que l’Europe ne se résume pas à des réunions de chefs d’Etats.
Qu’il y a eu au parlement, dans ses principes et ses applications la voix plus démocratique du triangle institutionnel européen, des travaux sur lesquels s’appuyer.
Comme cet accord, pas si ancien, sur la gouvernance économique posant la question des déséquilibres à l'intérieur de la zone Euro. Toute respectable que soit l'idée d'austérité budgétaire si on veut se rendre moins dépendant des marchés pour la marche de ses affaires, en faire le seul axe de sauvegarde est limité et même dangereux. Après tout, comme le rappelle Sylvie Goulard, « l’Espagne et l’Irlande respectaient strictement la discipline budgétaire. C'est un mauvais pilotage macro-économique qui les a entraînées dans l’abîme. Les surplus dégagés au Nord de l'Europe ne doivent pas non plus être jugés sur des critères moraux, comme un signe de "vertu". Mal investis, ils peuvent contribuer aux erreurs de pilotage du Sud. En refusant de regarder la macro-économie comme un tout, en refusant de placer les impératifs de croissance et de réduction des inégalités au même niveau que la discipline, dans le futur traité, nos dirigeants ont fait un choix étroit. L’OCDE comme le FMI ont récemment tiré la sonnette d’alarme. La stabilité ne suppose pas seulement le respect des règles, elle consiste à faire les bonnes politiques pour donner un avenir à des êtres humains de plus en plus désespérés. »
Sylvie Goulard n’est certes pas de votre (de notre) camp, mais je ne vois rien dans ces propos qui soit en pleine contradiction avec la sociale démocratie dont vous vous réclamez.
Autre sujet de désappointement, votre trop de goût pour le vague.
« Donner du sens à la rigueur » a beau être une formule suffisamment bien tournée pour prendre le sens des rotatives amatrices de petites phrases, elle n’a pas beaucoup de substance en dehors d’un vœu un peu égalitaire qu’on devine.
« Je porterai trois grands engagements : le pacte productif pour rehausser le niveau de l'emploi et de la croissance, le pacte redistributif pour réduire les inégalités et le pacte éducatif pour faire de la jeunesse la grande priorité du prochain quinquennat » m’écrivez-vous.
Bel et bon aussi mais pas moins creux.
Peut-être serait-il temps de sortir des généralités pour parler de choses un peu plus précises et non moins importantes.
De ce capitalisme d’héritiers par exemple, si typiquement français et dont on peut penser qu’il est autant source de conflits qu’un frein aux performances économiques.
Ce n’est qu’un exemple bien sûr, mais peut-être gagneriez-vous à ne pas rester uniquement sur le terrain des hautes sphères de la macro-économie et plancher sur quelques sujets microéconomiques de ce calibre.
Je comprends bien cette posture de retrait, vous l’aviez d’ailleurs annoncée.
La campagne n’est pas vraiment commencée et nul ne doute que votre brillante équipe de campagne produira en nombres idées et propositions que me feront sentir honteux de cette missive.
Vous savez, je ne demande qu’à ce que mes craintes et chagrins d’électeur soient par vous démentis.
Bien cordialement, ou comme on dit chez vous (enfin chez nous) : « amitiés socialistes ! »
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