C’est bien embêtant quand des décisions d’à peu près égale légitimité viennent s’opposer.
Bien embêtant et même effrayant quand la lutte en question aura, on peut le craindre, une assez vaste étendue de dégâts.
Du peu que j’en sais, nous avons, d’un côté donc, un peuple qu’il est un peu facile de considérer comme entièrement responsable des errements des politiques et qui doit tout d’un coup faire face à une baisse conséquente de ses revenus avec en plus le sentiment que ses voisins et partenaires mêlent à une aide réelle un discours et quelques exigences tenant de la promotion de la vertu et de la répression du vice budgétaire.
Grèves générales sur grèves générales, manifestations durant lesquelles on a le sentiment que la violence ne demande qu’à s’embraser ; plus généralement une nation dans un état de tension difficilement supportable.
Dans ces conditions il me parait difficile de ne trouver aucune légitimité au référendum proposé par Papandreou. Ses concitoyens doivent faire face à un tel coup de tabac que leur demander leur avis n’a rien de scandaleux.
D’autant qu’avec un vote en février et le débat qui le précédera il n’est pas impossible que les électeurs trouvent que le chemin de l’austérité, s’il est possible d’en voir le bout, soit un moindre mal auquel ils sacrifient volontairement.
Mais pour l’instant personne n’y croit.
Et dans l’intervalle la suspension de la mécanique mise en route n’ira pas sans dégâts.
Le niveau de vie de la Grèce, son avenir à court terme mais aussi ceux de l’ensemble de l’Europe comme institution et comme population vont très probablement faire face à des secousses propres à briser pas mal de choses et de gens.
Ces multiples facettes ne semblent pas pouvoir être vues ensemble par beaucoup des débatteurs de l’agora des avis tranchés et lapidaires sur le référendum grec.
Ici, on sacralise les 50,1 % en l’appelant peuple et en lui donnant tous pouvoirs sur les perdants et quiconque ne sacrifie pas à son culte est un fasciste.
Là, on considère que la poursuite de l’intérêt général demande tellement de compétences et de recul qu’il ne peut plus se concevoir que dans les cabinets d’initiés, loin des appréciations électorales et prétendre le contraire serait faire preuve de la dernière démagogie… voire de fascisme.
Il y a autre chose qui m’a frappé dans cette querelle de gloses à 140 caractères, c’est un aspect rhétorique utilisé par les adorateurs du peuple. (Adorateurs qui ne passent pas forcément par la case Petit père, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.)
De très nombreuses fois, ceux-ci sortaient l’acronyme TINA (There is no alternative) tant utilisé par Thatcher, comme argument massue et ricaneur censé, par l’exemple de sa vacuité, réduire l’essentiel de l’argumentaire de leurs vis-à-vis à un baratin sans substance.
Bon soldat de la cause, Gérard Mordillat s’était d’ailleurs appliqué à recenser pour dénoncer dans un livre paru il y a quelques mois, « un vocabulaire lénifiant ou novlangue qui a labouré nos esprits éclairés, puissance des MOTS tels que "salaires" remplacé par "charges sociales" comme si le salarié ne servait en définitive à rien. »
Je veux bien. Et je n’aurai pas le toupet de prétendre que les éléments de langage ne sont pas là pour habiller les faits des atours les plus chers à son cœur. Mais, pour autant, les pourfendeurs de la novlangue néo libérale ne tomberaient-ils pas dans le même travers ?
Car nier la pertinence d’une formule ou d’un mot fait-il disparaitre magiquement ce qu’ils désignent, même si c’est en pour en valoriser tel ou tel aspect ?
Se gausser du TINA créera-t-il toujours de vraies alternatives ?
Le retour au mot salaire, fera-t-il disparaitre le coût du travail ?
A vouloir détruire la mécanique argumentaire des ses opposants ne risque-t-on de rester, tout autant qu’eux, le nez collé dans les mots ?
Je m’interroge.
Comme ça à chaud moi je dirais que repérer (à défaut de la détruire) la rhétorique de ses opposants est une étape qui éclaire l'analyse que l'on peut faire et peut s'avérer indispensable.
Elle n'est par contre jamais suffisante, et pour ne pas rester le nez collé dans les mots il faut toujours en revenir aux choses qu'ils désignent (les vraies alternatives ou le coût du travail dans tes exemples).
Cela correspond à un travail de mesure de leur subjectivité : par exemple pour le coût du travail parler uniquement de charges sociales favorise un raccourci vers l'idée que c'est un coût injustifié et par conséquent trop élevé qu'il faut réduire. Parler de sécurité sociale rappelle que ce coût-là est lié à une volonté d'assurer une certaine qualité de vie.
Dans les deux cas se cache un regard qui n'est pas neutre. Comprendre la rhétorique des discours aide à mesurer cette subjectivité pour pouvoir choisir en meilleure connaissance de cause celui auquel on adhère.
Rechercher les discours les moins chargés de subjectivité (et préférer le mot salaire à charges ou sécurité sociales) me paraît une démarche plutôt saine voire facilitatrice de démocratie... Tant qu'elle est menée sincèrement.
Rédigé par : Alice | 05 novembre 2011 à 20:05
Bien sûr que pointer la subjectivité de tel ou tel discours a sa place dans le travail politique. Après tout, "je n’aurai pas le toupet de prétendre que les éléments de langage ne sont pas là pour habiller les faits des atours les plus chers à son cœur." (Oui, je suis le genre de type qui se cite lui-même...)
Mais de manière accessoire selon moi.
D'une part parce que quoiqu'ait l'air d'en penser Mordillat, la vulgate néolibérale n'a pas colonisé l'ensemble de l'espace médiatique. Les mots "salaire" ou "sécurité sociale" me semblent par exemple encore largement en usage.
D'autre part parce qu'on devrait moins se préoccuper d'attaquer le discours de l'autre (dans une démarche de stricte opposition, circulaire et stérile) que de tenter de dégager des... alternatives.
Enfin, idéalement...
En gros , je ne pense pas qu'on soit en désaccord profond mais là où tu sembles d'abord voir la légitimité de la démarche, ce sont les piteuses utilisations (nier paresseusement toute pertinence aux arguments adverses) qui me sautent aux yeux.
(Bienvenue ici, ceci-dit. Je suis ravi et flatté que que tu fréquentes ces lieux.)
Rédigé par : aymeric | 06 novembre 2011 à 15:56
Tu aurai pu dire en fin spécialiste de la chose, que les charges sociales n'ont pas remplacé le salaire, celui ci comportant une partie nette versée au salarié et une partie différée versée à la Sécu) les fameuses charges sociales dont le montant est presque égal au salaire net, ce qui pousse certains patrons (surtout les petits) à voir rouge (enfin rouge, je me comprends...)
Sinon, cela me rappelle un client filiale d'un groupe US où j'allais pour étudier une question de temps de travail dans le cadre d'une augmentation du temps d'ouverture et de la création d"'une cinquième équipe
En regardant les coûts, l'expression "le people" revenait souvent
En fait elle désignait les charges de personnel (la masse salariale), qu'on retrouvait sous le vocable "people" dans les outils de gestion évidemment exprimés en anglais!
Rédigé par : verel | 07 novembre 2011 à 08:08
C'est vrai.
Si je n'ai pas pensé à le dire c'est peut-être que je n'ai plus, depuis quelques années maintenant, le titre professionnel pour me prétendre "fin spécialiste de la chose".
Rédigé par : aymeric | 07 novembre 2011 à 13:49
Le référendum est d'un usage très délicat, on l'appellera facilement démago ou plébiscite (dans le mauvais sens du terme, évidemment), ou alors instrument essentiel de la démocratie. En ce qui concerne la Grèce, c'est terminé - sans doute une ultime pirouette de Papandreou - mais on verra renaître la formule, ou les exigences pour, dans un proche avenir. Pourtant, la grande majorité des référendums passés (dans les pays où la tradition référendaire n'est pas établie) ont bien montré que la question avait bien peu à voir avec la réponse, et que de toute façon la question avait encore moins à voir avec la situation réelle. Le cas de la Belgique était assez éclairant, ,il y a quelques mois, alors que de nombreuses voix réclamaient un référendum. Certes, mais quelle question poser ? et à qui ?
Par contre, autant les OWS me semblent des lunatiques sans intérêt, autant le projet G1000 peut avoir certains côtés intéressants ; mais encore est-il nécessaire de ne pas se contenter d'une formule comme la "dictature des élections" sans préciser sa véritable signification.
Quant à la novlangue, elle est décidément d'un usage généralisé, tant à gauche qu'à droite. Ressources Humaines pour "personnel" est une invention géniale.
Rédigé par : cdc | 10 novembre 2011 à 16:44