A la réflexion, la seule surprise de la dernière interview présidentielle fut dans le nombre de spectateurs.
12,2 millions de personnes devant l’écran nous dit-on.
Dont moi, une vingtaine de minutes durant. Avec le sentiment que ne m’y maintenaient que l’habitude et un étrange sentiment d’obligation. Coincé comme devant une de ces messes auxquelles on assiste sans réussir à écouter ce qui se dit.
À ceci près que ce mardi soir personne ne nous faisait nous asseoir et relever à intervalles réguliers.
Mais qu’est ce que le spectateur moyen - si tant est qu’il existe – en retient ?
Les sondages ne nous disent pas grands chose, notes attribuées à des avis prédécoupés.
Les conversations de bureau ou de comptoir ?
Davantage, une fois débarrassées de ce qui vient tout droit de professionnels du commentaire.
En ressort alors que la performance prime. Les propos sont accessoires. L’attitude, le ton, la posture, et quelques saillies occuperont l’essentiel des comptes-rendus.
En quoi serait-ce étonnant après tout ? On ne dévoilera rien, ou si peu, en disant que la communication politique se soucie davantage d’effets que de sens. Elle est exemplaire du phénomène décrit par Harry G Frankfurt dans son On bullshit et résumé ainsi, en préambule de son ouvrage suivant (On truth) :
« Ma thèse est que les baratineurs se présentent comme des gens uniquement désireux de transmettre des informations alors qu’il n’en est rien. Au contraire, ce sont avant tout des imposteurs, des charlatans dont les paroles visent à manipuler l’opinion et l’attitude de leurs interlocuteurs. Ce qui leur importe d’abord, c’est de prononcer des mots efficaces au regard de cette manipulation. Par conséquent, le fait que les paroles soient vraies ou fausses les laisse indifférents. »
Nous sommes là dans la banalité.
En voici une autre.
Reflet de sa matière première, le journalisme de commentaires sur le discours politique est souvent au niveau de l’indigence qu’il analyse.
Une même obsession de la prestation avec cet intérêt supplémentaire que le commentateur jugera parfois son sujet à l’aune de ses propres compétences. Traitant volontiers avec condescendance le politique marchant sur ses plates bandes de professionnel de la communication.
C’est un des procès qu’attire le journalisme politique. Ils sont nombreux, plus ou moins légitimes.
On lui reprochera, chez nous, un trop fort degré de connivence, ou une fixation sur le calendrier présidentiel qui va orienter questions et conclusions.
D’autre trouveront qu’il est devenu une culture du superficiel, focalisée sur les caractères et les stratégies et que Nicolas avait fort bien baptisée du nom de syndrome Raphaëlle Bacqué.
J’ajouterai peut-être un jour mon jet de pierre à ces critiques mais je voudrais maintenant m’intéresser à un phénomène plus restreint. Encore qu’il essaime jusque dans les autres branches de la profession et s’introduit régulièrement dans ces pages-mêmes.
Je pense à cette manie de faire le malin avec son style, de n’écrire que pour caser sa petite formule sans souci de la relier au sujet dont on traite.
Exemples :
« Le président ne met pas la poussière sous le tapis, il promet de la changer en or. »
« En ce jour où la gastronomie française rentre au patrimoine de l’humanité, cette émission était comme un dîner en ville où on ne servait que des amuse-bouches et pas vraiment de plat de résistance. »
Extraits de « service après-vente de Nicolas Sarkozy » sur France Culture.
Désagréables manies de l’écriture de presse.
Mais, généralisons un brin.
Celle-ci – l’écriture de presse - fait face à deux grandes critiques.
D’un côté on reproche un formatage trop rigoureux qui, voulant ménager toujours plus son lecteur, s’uniformise et ennuie.
De l’autre côté – aujourd’hui le mien - on déplorera le recours à l’épate, quand tout devient prétexte à montrer sa plume.
Contre l’écriture standardisée, certains en appellent à la réaffirmation de l’auteur. Le mythe alors invoqué et dont on réclame le retour, c’est le Gonzo.
Flou, en bon mythe, il ne désigne pas une école précise mais une période et quelques brillants plumitifs (Hunter S. Thompson, Richard Meltzer, Lester Bang). Irrespect, agressivité, digressions et apparitions plus qu’allusives de divers moyens d’autodestruction (drogues, alcool entre autre) formaient, il ya quarante ans, un cocktail inédit et détonnant.
Le problème c’est qu’aujourd’hui, ceux qui s’en revendiquent on fait de ces ingrédients des tics. Leur pseudo liberté de ton n’est le plus souvent qu’une posture qui génère ses propres conformismes.
Et, en plus d’être banal quand on se croit affranchi, on s’écharpe sur le deuxième écueil, celui de l’épate.
A ce point, au lecteur agacé par mes leçons de style comme on en donne de maintien, je présente mes excuses.
On critique, on critique, mais on ne serait pas le dernier à mériter ses propres reproches.
Sans doute…
Mais je travaille, aidé en cela par un bréviaire publié par les éditions Victoire : Inventer sa phrase par Hédi Kaddour.
On y lit, entre autres comme en vrac :
Que lorsqu’il s’agit de décrire, il est bon d’alléger sa phrase. Ne plus donner qu’à voir. Faire sens par le montage seul, susciter l’action en la montrant de manière sèche. Braquer son attention sur ce qui fait suspens. Un reportage efficace se pense de manière visuelle, délesté des commentaires parasites. La vieille métaphore de la caméra stylo n’est pas si obsolète.
Se préoccuper du lecteur ne se limite pas à la surmastication de l’information. Chaque ligne devrait se penser comme un appât pour la suivante. « L’efficacité d’une écriture journalistique : rendre nécessaire la phrase qui vient après. »
La meilleure manière d’épuiser ce sont les criantes demandes d’admiration ou d’affection. Mieux vaut reconnaitre des compétences que d’exhiber les siennes. Je sais, je vous l’assure qu’il est difficile de résister aux tentations ramenardes.
« Il faut avoir l’œil à hauteur d’interlocuteur. Il faut éviter le point de vue surélevé des dieux jugeurs. »
Être à l’affût de l’attendu pour mieux le contourner.
« Le ternaire d’adjectifs attendus est l’une des plus fortes menaces qui pèse sur nos phrases. […] Au lieu de donner à entendre, la phrase a l’air de s’écouter parler. On a l’air de coller au réel en donnant sur lui des détails de mieux en mieux appropriés, et en réalité on s’écarte de lui pour découper des clichés. […] Sauf cas particulier, il faudrait avoir toujours – mais sans préciosité – ce souci du décalage léger de l’adjectif. »
Illustration du décalage élégant. Là où le banal imposerait un « Mathilde est blonde, calme et réfléchie » Colette décrit son héroïne de cette façon : « Mathilde est blonde, paresseuse et fanée. »
Les temps de conjugaison sont plus riches que de leur simple temporalité.
Le présent rend contemporain de l’action ; l’imparfait est le temps de la durée et de l’absence simultanée.
Un texte se découpe en césures qui l’articulent et le relancent. Pour reprendre Philippe Lavil, c’est juste une question de tempo. Ne pas casser le fil. S’appuyer sur les manques d’information précédents de façon à ne pas rendre facultative la fin de l’article.
Chercher la bonne tension, la production d’intérêt passant souvent par des mises en conflit qui permettent d’organiser la relance et donnent de la vigueur à un texte
Mais, parfois, prendre à rebours les conseils précédents quand le sujet l’impose.
« Devant un fait divers de presse en revanche, nous voulons que ce soit le rédacteur qui nous dise que c’est atroce, afin qu’une partie de l’insoutenable soit déjà pré-machée dans le texte que nous lisons. Il faut qu’on prenne notre émotion par la main et que la digestion en soit facilitée d’autant. »
« Quand vous avez quelque chose d’un peu scandaleux à faire dans un article, dépêchez-vous d’en faire partager la responsabilité à votre lecteur, si possible en lui offrant une participation dans l’entreprise. »
En guise de morale conclusive à cette rapide présentation d’un guide anti chausse-trapes :
« Pour paraphraser un homme politique, on pourrait dire qu’un bon rédacteur, ça ferme sa gueule. Quelque chose pourtant continue à parler dans un récit, quand le rédacteur a fermé sa gueule : comme au cinéma, ce quelque chose, c’est le montage. »
Au boulot.
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