Au fond, est-ce qu’un concert de rock peut désormais apporter autre chose qu’une excitation un peu factice, un reste d’émotion qui ne tient bien souvent qu’à un art plus ou moins maîtrisé d’accommoder des clichés ?
Sans doute pas.
Mais les restes peuvent être fort beaux et, pour des wagons de cuistots piteux, on trouvera toujours quelques Carême en cette matière.
Mardi 19h30, sous des halles anciennement dévolues aux activités bouchères, en tailleur sur un sol non encore trempé de bières, je consulte le menu tandis que tout autour de moi, fosse et gradins se remplissent.
Men Without Pants en entrée.
Supergroupe parait-il, mais de la « clique impressionnante » (sic) je ne connais que Dan the Automator, dont je ne pense pas grand-chose et Russel Simmins, que j’avais déjà vu derrière les fûts de John Spencer Blues explosion - de très habiles lurons dans le registre de l’énergie bouffonne - et via un CD d’il y a une douzaine d’année : Butter 08, déjà un projet All-Stars mais très bien fichu, lui.
Les autres mentionnés ne sont que des noms que je ne pense pas avoir lus plus que diagonalement…
Bref, du beau linge à la page qui ne sait proposer qu'un brouet fadasse.
L’animation de scène assurée par un guitariste qui nous sort, appliqué, toutes ces figures que l’air guitar a achevé de rendre ridicules. En somme, un tout petit truc ; pas beaucoup plus intéressant que n’importe quel de ces combos qu’on croise en masse les soirs du 21 juin à cette heureuse différence qu’ils nous épargnent ce soir les reprises de Nirvana, Noir désir ou Téléphone qui méritent mille fois le pal.
Sonne l’heure de Sunn 0))) qu’annoncent des chants grégoriens, suivis d’orgues étales et d’une très – mais vraiment très – progressive extinction des lumières.
Pendant ce lent écoulement, des jeunes gens très pileux se réunissent, l’air recueilli, devant la scène. Oui, parce que Sunn 0))) est un groupe dit de « drone métal » et que le mot important doit être métal si j’en crois la concentration de ces trognes chevelues, barbues, dreadlées, crêtées, piercées, tatouées.
Des vrais méchants 80’s mais de ceux qui maniaient le laser ou la masse d’armes, pas les peroxydés soviético-nazillons qui plaçaient leur cigarette au milieu du poing.
Pourtant d’après ce que j’en sais, la musique qui va nous être proposée ne leur donnera guère l’occasion de secouer la crinière.
A voir la plupart des barbares réunis s’équiper de bouchons d’oreilles, mon premier réflexe est de moquer – discrètement, prudence oblige – la supposée virilité de ces messieurs, puis je réalise que sur la scène se dresse maintenant un imposant mur d’enceintes.
Tonnerre, je vais prendre cher !
Et je pris…
(Mais je dois être un peu lavette car j’en ai ensuite entendu – enfin entendu… - déplorer le trop faible niveau sonore.)
Sacrée expérience qu'un concert de Sunn 0))), au sens laborantin du terme. Une puissance de son qui vous secoue l’organisme entier, ne se contentant pas des tympans.
Par contre ça demande une endurance que je n’avais pas hier soir ; j’ai dû sortir de la salle à deux ou trois reprises, le temps de croiser un rock critique en tenue et exercice qui rédigeait son compte rendu mi-accoudé mi-vautré sur un pouf.
Cinq bonne minutes d’absence : même pas sûr d’avoir loupé un accord.
Bruit, lenteur et répétition : du Charlemagne Palestine par d’autres moyens.
Oui, oui, c’est envoûtant.
J’avoue, c’est vrai, leur côté grand guignol (robes de bure à capuchon pointu, et fumigène à gogo) n’est pas déplaisant, au contraire, mais à vrai dire la quasi dévotion que leurs vouent certains m’avait fait espérer un peu mieux.
J’aurais aimé adorer.
La dernière salve est laissée aux bons soins de Jesus Lizard que je ne connais pas vraiment non plus – mais, quoi ? On ne va pas forcément au concert pour fêter ses idoles.
Quelques morceaux entendus distraitement ici ou là sans qu’ils m’aient marqués.
Un vague souvenir du split single qu’ils avaient enregistré avec Nirvana, au temps des premières tentatives de Kurt Cobain pour saccager son succès.
Bon ça ne date pas d’hier, et ne remue pas non plus de forts souvenirs. D’après ce que j’en ai lu, la récente reformation sent son besoin urgent de monnaies. De quoi attendre les punks plus que quadras sans enthousiasme excessif.
Il ne m’aura pourtant pas fallu plus de cinq minutes pour guincher comme un couillon.
En voilà qui ont du métier dans le barnum et qui le font sacrément bien.
Un professionnalisme poussé au point d’avoir un préposé aux slams, robuste gaillard aux allures d’un Gerets mâtiné de Léonard Cohen qui récupère chanteurs et micros dans la foule, canalise le flot des spectateurs venus sur scène secouer leur tignasse – d’autant plus fougueuse sans doute qu’elle fut précédemment frustrée - avant de se jeter dans une foule coopérative. Il en pousse aussi quelques-uns, ceux qui trainent un peu trop ; pour leur bien, le chanteur n’ayant pas grand respect pour l’intégrité physique ou les fringues de ses fans.
Ah le chanteur, un nabot furibond qui hurle se tord et se jette, prend les poses les plus vulgairement aguicheuses en caressant sa blanche bedaine à bibine. A le voir on ne s'étonne plus que son boulot soit "physiquement aussi éprouvant que de creuser une fosse, déplacer des meubles ou une machine à la force du poignet."
Mais savoir ainsi vous servir les plats les plus éculés sans que vous ayez à vous plaindre de la fraicheur n'est pas qu'une question de métier. Il faut de la tripe et de la foi ; ces garçons sont pourvus des deux.
De la bastonnade classique et bien troussée que j’ai aimée à m’en faire mal à la nuque.
Tout pour ce soir
Retour vendredi, principalement motivé par ces messieurs.
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