C’était un matin du mois dernier.
J’écoutais France Culture comme chaque jour, enfin, comme chaque jour, je n’en écoutais que les quelques bribes que mes enfants daignent me laisser entendre.
Une religieuse était invitée, non pour nous faire part de considérations théologiques, mais pour parler efficience des marchés, capitalisation boursière, placements éthiques, et autres choses toutes très éloignées des œuvres de Dieu mais débitées par quelqu’un qui, tout en gardant toujours le souci d’être compréhensible, semblait sacrément connaître son affaire.
Je fus séduit.
Oh pas entièrement, on trouve toujours à renâcler - la récurrence d’expressions comme projet de société tend par exemple à me crisper – mais pas assez pour me décourager d’acheter, quelques semaines plus tard, l’ouvrage collectif dont elle était venue ce matin faire la promotion : 20 Propositions pour réformer le capitalisme.
Je vais faire l’économie des justifications, déjà largement abordées sur ce blog (et qui peuvent être resservies sur demande en commentaire), concernant mon absence de volonté d’abattre le capitalisme, pour discuter directement un point de ce livre dont je n’ai pour l’instant lu que 15% (3 propositions sur 20, quoi).
Car une des ces propositions – à noter que vous pourrez retrouver lesdites propositions sur le site dédié au livre et même en discuter car les 20 ont joué le jeu du 2.0 – a récemment trouvé une application concrète.
Il s’agit de la deuxième que voici :
Est proposé un renforcement du contrôle financier et extra-financier des agents économiques par la mise en place d’un corps de contrôleurs — aussi bien des cabinets d’audit que des agences de notation financière :
1. rémunérés par les autorités publiques en charge de la réglementation financière et extra-financière ;
2. susceptibles d’être mandatés pour contrôler auprès de l’entreprise notée ou auditée, aussi bien ses pièces comptables que sa mise en œuvre des normes sociales-sociétales, environnementales et de gouvernance.
Le 23 avril dernier, le Parlement européen adoptait une législation mettant en place, pour la première fois, un enregistrement et une surveillance obligatoires des agences de notation du crédit.
Et ce, comme suggéré par nos proposants, via un organisme européen, le Comité Européen des Régulateurs des marchés de Valeurs Mobilières (CERVM), un organisme composé des régulateurs nationaux qui sera temporairement chargé d’enregistrer les agences de notation du crédit.
A terme une nouvelle autorité paneuropéenne devra assurer cette tâche.
L’idée visant à améliorer « le fonctionnement des agences, et à éviter les conflits d’intérêt, les agences étant rémunérées par les sociétés dont elles notent la dette. Les équipes devront être modifiées régulièrement pour couvrir différents secteurs et éviter ainsi une trop grande proximité avec leurs clients. Au moins deux membres de la direction de chaque agence devront être indépendants. Leur rémunération ne devra pas être fondée sur la performance du secteur. »
Évidemment si les auteurs du livre sont aussi proches de la décision prise c’est moins la preuve d’un accès privilégié des ecclésiastiques aux impénétrables voies du Seigneur, pas plus que de la mainmise des jésuites sur les institutions européennes que du haut niveau de connaissances concernant aussi bien les mécanismes du marché que des leviers susceptibles d’agir sur lui.
De la réglementation elle-même, on peut aussi dire deux choses (Olivier Pastré style) :
- Contrairement à ce que pensent les nigauds, le parlement européen n’est pas une simple chambre d’enregistrement.
- L’Europe règlemente et n’est décidément pas le Cheval de Troie de l’ultralibéralisme que certains (les mêmes nigauds et d’autres) s’obstinent à vouloir voir, mais bien plutôt le projet d’allier le meilleur des deux mondes : marché ET régulation. (Et, oui, je suis un europhile béat qui s’emporte facilement en bonds caprins).
Pour revenir au livre, je n’en ai pas lu suffisamment pour me montrer vraiment péremptoire et injuste mais, malgré l’adhésion de principe aux propos des auteurs et le respect pour leur expertise technique, ce qui me fit tiquer à les entendre s’est parfois retrouvé sous mes yeux.
Il y aurait par exemple des choses à dire sur la confiance peut-être excessive en la sagesse des pouvoirs publics ou sur leur nécessaire meilleure gestion que les régulations des marchés ; c’est parfois vrai, mais pas toujours.
Il y a aussi peut-être un peu de naïveté dans ce qui ressemble – au point où j’en suis de ma lecture – à un salut dans le tout-éthique. Un côté salut par les œuvres dira le huguenot caustique.
Outre que beaucoup de questions morales reposent sur des consensus fragiles, on imagine mal le monde où l’altruisme guiderait les investissements comme semblent l'imaginer les auteurs.
Des choses à dire donc, mais il faudrait que je finisse les 17 propositions suivantes.
Retour au canapé.
Ha ha, un côté salut par les oeuvres !
Le grand problème, dis-je dans un moment de philosophiedecomptoirisme et de misanthropie prononcé, c'est que les gens qui ont les compétences pour analyser les montagnes financiers, sont ceux qui ont les moyens de se faire du fric. Aussi, pourquoi accepterait-il le salaire, décent, certes, d'une agence indépendante, plutôt que celui, mirobolant, qu'offre "l'autre côté" ? Le tout éthique, c'est bien, mais ça devient vite du tout-étique.
Rédigé par : Raveline (caustique) | 09 mai 2009 à 17:46
Alors, à la page 53 de l'ouvrage commenté, on peut lire : "Comment assurer une rémunération au moins à la hauteur de celle perçue par les managers des équipes qu'ils contrôleraient ? Et pour leur permettre d'avoir un avenir professionnel - et donc susciter des vocations... -, pourquoi ne pas prévoir que les conseils d'administration des entreprises faisant appel public à l'épargne, et en premier lieu les banques, aient à intégrer au moins un ancien contrôleur parmi leurs administrateurs indépendants ?"
Pourquoi pas mais, dans ce type de démarche, il y a la croyance que les effets pervers de telle ou telle mesure contraignante doit être compensée par une autre mesure contraignante avec le risque évident de créer une écheveau inextricable de réglementations où la moindre initiative privée doit passer par le filtre de l'administration.
Pourtant, il ne me parait pas impossible de doter ces postes publiques de tout un tas d'avantages qui viendraient compenser, pour partie au moins, les gains inférieurs.
Rédigé par : aymeric | 09 mai 2009 à 18:42
Décidément, il semble y avoir des crétins aussi dans la rue89 (j'en entends souvent parler mais je la fréquente peu). Il est vrai que le Parlement européen a été une chambre d'enregistrement (et aussi une sucette pour les politiciens usés mais méritants). Cette époque est révolue depuis belle lurette, et la procédure dite de codécision donne du fil à retordre au Conseil, qui s'en passerait bien ! Quant à ce canard récurrent d'ultralibéralisme de l'Europe, je comprends mal qu'on puisse l'utiliser pour qualifier une entité qui règle jusqu'aux dimensions des fermetures-éclair...
Rédigé par : cdc | 12 mai 2009 à 14:47
En l'occurrence Rue 89 (que je ne fréquente pas beaucoup moi-même) s'est contenté de rapporter les crétineries.
Rédigé par : aymeric | 19 mai 2009 à 00:16