"Le marché est un puissant instrument de calcul, à la fois ordinateur, logiciel et algorithme aux performances inégalées."
Roger Guesneries in l'Economie de marché
"Le Wall Street journal se divise en deux parties. Une partie "commentaires", et une partie "informations" qui est peut-être la meilleure du monde. Ce journal doit brosser un tableau relativement objectif de la réalité, parce que c'est sur cette base qu'on fait de l'argent."
Noam Chomsky in Deux heures de lucidité (entretiens avec Denis Robert et Weronicka Zarachowicz)
C’est vrai qu’ici on ne s’est jamais laissé emmerder par la pudeur et qu’on ne rechigne pas à parler de soi.
(Ni à parler de soi, à la 3e personne visiblement.)
Mais je crains que, récemment, on ne soit monté d’un cran et qu’un billet récent n’ait entrouvert des vannes qui gardaient des eaux plus honteusement saumâtres.
Mais voilà, maintenant que le plus coûteux des pas a été fait, que vais-je vous avouer encore ?
Quels sombres secrets brûlent en ce moment ces doigts qui pianotent ?
Ah, misère, j’en sens un qui vient :
Voilà.
Alors que le siècle dernier touchait à sa fin, je fréquentais assidument les conférences d’ATTAC, lisais le Monde Diplomatique et compulsais les œuvres de Noam Chomsky.
Bon, à dire vrai, si j’étais assidu, je n’étais pas non plus convaincu et je trainais mes guêtres chez les radicaux davantage par curiosité et parce que ces gens bénéficiaient d’une bonne côte dans les Inrocks que je lisais alors – quoi ?! Ça aussi je l’ai dit ? Merde !
Et puis, il ne m’aura finalement pas fallu beaucoup de temps pour m’en détacher clairement.
C’est que j’eus rapidement le sentiment que les différentes dénonciations consistaient presque toujours à poser d’abord une bonne grosse vérité pour ensuite présenter tout une accumulation de faits choisis pour leur capacité à illustrer la thèse de départ (quitte à être parfois Procustéen avec lesdits faits.)
C’est peut-être très efficace au regard des critères du militantisme mais aussi souvent très pauvre en qualités démonstratives.
Si c’est chez Chomsky que j’ai commencé à déceler ce mécanisme, c’est que j’avais été aiguillé par Jean Gagnepain qui, à propos des travaux strictement linguistiques de l’anarchiste du MIT, disait qu’il se tenait par les cheveux pour s’empêcher de se noyer.
Et c’est un peu de cette même démarche que j’ai retrouvé dans son champ politique puis chez pas mal d’autres de la frange des contestataires.
Mais ce qui est intéressant avec ce même Chomsky c’est qu’il fait paradoxalement partie de ceux qui ont hâté mon passage à la sociale-traitrise.
A plusieurs reprises je l’ai lu ou entendu dire à peu près qu’il fallait étudier son ennemi pour mieux l’abattre.
Une telle rhétorique vaguement sun-tzuesque a dû parler au côté GI-Joe que j’évoquais l’autre jour car je m’y suis appliqué et ai ainsi commencé à m’intéresser de près à l’économie autrement qu’en collectionnant les pamphlets.
Et ce que j’ai découvert m’apparut alors bien plus complexe et finalement intelligent que ce que pouvaient en dire les anticapitalistes de tous poils.
L’économie de marché est, par bien des aspects, fascinante de puissance et d’efficacité et n’a que peu de rapports avec ce mal absolu, cet ennemi radical avec lequel aucun compromis n’est possible, que dépeignent ceux qui pensent peut-être qu’il suffit de s’inventer un monstre à combattre pour devenir un prince.
Elle n’est pas non plus ce mal nécessaire selon quelques puritains, un peux moins radicaux, mais qui ne peuvent pas non plus associer quelque qualité que ce soit à ce qui touche de près ou de loin aux vils rapports marchands.
On me dira que je parle avec le zèle toujours un peu suspect des nouveaux convertis (qui n’est, après tout que le symétrique des damnations auxquelles on voue les apostats) mais ce n’est pas vrai.
Je sais bien que le marché ne va pas sans défaut (on dira externalités négatives pour causer jargon) mais je crois aussi qu’il est bien plus efficace de s’en servir que de vouloir à tout crin le soumettre ou prophétiser - depuis des lustres - son effondrement imminent.
Aussi n’est-ce pas sans déplaisir que j’apprends que les instances européennes envisagent de s’orienter vers plus de marché pour une meilleure gestion des stocks de poissons - là je sens comme un vent porteur de pierres.
Pas effrayé pour autant j’applaudis même de toutes les mains dont je dispose.
Voici le topo : devant les défauts structurels de la politique commune de la pêche (PCP) on ouvre peut-être enfin la porte aux quotas individuels transférables (il s’agit, en gros de donner aux pêcheurs le droit de céder leurs propres quotas à d’autres pêcheurs, permettant ainsi à un pêcheur qui ne disposerait pas d’un quota suffisamment important d’en acheter), système qui se sert du marché plutôt que de s’en défier et qui a largement fait ses preuves ailleurs (même si, comme d’hab’, la France renâcle).
Plein de bon sens à mon sens, et un peu dans la voie de la concordance des énergies chère à Morihei Ueshiba, un autre des petits maîtres de mes honteuses amours adolescentes.
bon ca va mais les inrocks quand même !
Rédigé par : Eviv Bulgroz | 25 avril 2009 à 18:46
Bon, mais les quotas, ils servent à quoi, depassés ou non atteints ? (vraie question, stp)
Rédigé par : Nadine | 25 avril 2009 à 19:53
@ eviv,
Oui, je sais, j'ai honte...
@ Nadine,
Ben, l'idée des quotas c'est de limiter la quantité de poissons péchés en vue d'éviter l'épuisement des ressources.
Maintenant, il est visiblement plus efficace de tabler sur les quotas individuels qui jouent davantage sur les intérêts particuliers et conduisent à des dépassements moindres.
Comme indiqué rapidement ici.
Rédigé par : aymeric | 25 avril 2009 à 22:16
Très beau billet, car je m'y reconnais un peu, ayant vécu et apprécié le même parcours avec Chomsky.
Rédigé par : thierryl | 26 avril 2009 à 17:24
ATTAC ? Chomsky ? Diplo ? Nooooooonn !
Rédigé par : Denys | 26 avril 2009 à 23:35
@ thierryl,
Merci beaucoup.
(On pourrait même faire un club, ça montrerait à Denys qu'on peut s'en sortir sans trop de séquelles.)
@Denys,
Ouais, bon, j'étais jeune et n'ai jamais non plus - comme je l'écris - fait partie des convaincus.
(Alors que les Inrocks, j'y ai cru... ; oups, j'ai encore trop parlé !)
Rédigé par : aymeric | 27 avril 2009 à 00:14
pas mieux. j'ai même un CD-Rom Monde Diplomatique - tous les articles jusqu'en 1999. j'ai été abonné un an. Les articles de Halimi sur le journalisme et ses liaisons incestueuses avec le monde politique demeurent pertinents. Pour le reste > yeux au ciel.
pour les inrocks, le bimestriel ça avait quand même de la tenue. Cet émoi avant de découvrir qui allait faire la couv ' ... C'est en augmentant la fréquence de parution (mensuel en 92 et hebdo en 94) que ça s'est gâté. On fait les marioles parce qu'aujourd'hui il y a internet mais en 87 c'est pas dans rock&folk ou best qu'on parlait de david sylvian, des woodentops ou des pastels.
Rédigé par : cecil | 27 avril 2009 à 21:25
On un donc un ratio de 5 années de qualité pour un peu plus de 15 de déclin continu, c'est pas terrible quand même.
(Même si, c'est vrai, ce magazine m'a fait découvrir des choses à ce jour encore fondamentales pour moi.)
Rédigé par : aymeric | 27 avril 2009 à 22:09
Carabinier d'Offenbach (j'étais en Afrique). Chomsky, je l'ai découvert en étudiant la compilation (on me comprend), puis avec "At War With Asia", qui était tout de même d'une belle tenue morale. Je ne sais plus où il en est dans ses travaux de linguistique, mais pour le reste, il n'a pas bien évolué (ou est-ce moi ?).
Rédigé par : cdc | 06 mai 2009 à 11:57
Je dirais même qu'il tend à s'autocaricaturer (ou à se radicaliser selon qu'on se veut plus ou moins dénigrant).
Rédigé par : aymeric | 09 mai 2009 à 18:44