On m’a communiqué ce texte.
Un point de vue pas inintéressant du tout sur les récents événements caucasiens :
Nous étions 12 Européens à Tbilissi…
Nous étions 12 européens à Tbilissi, 12 stagiaires de la Commission européenne qui, après cinq mois à Bruxelles, avaient choisi la Géorgie pour en savoir plus sur les programmes et les projets de développement de l’Union Européenne.
Arrivés le 5 août dans la capitale géorgienne, notre programme était chargé: visites de projets mis en œuvre par des ONG locales, réunions avec les experts la Délégation de la Commission Européenne, découverte du pays etc.
Deux jours après notre arrivée, nos amis géorgiens, salariés d’une ONG travaillant pour la promotion des Droits de l’Homme dans ce pays, nous invitent à une soupra (un banquet local). Une fois les plats servis, les hôtes comme les invités se doivent de porter des toasts: nous trinquons à l’amitié entre les peuples, à nos ancêtres, au respect de l’environnement, à la paix dans le monde, à la Géorgie … Au loin, la cathédrale de Mtskhéta, l’ancienne capitale, semble veiller sur nous.
Entre 2 toasts, le passage de deux hélicoptères interrompt nos discussions. Ils se dirigent vers l’ouest! Un peu plus tard, après un énième toast, un hommage vibrant à la beauté des femmes géorgiennes, le visage du président Saakachvili apparaît à la télévision. Nos amis s’approchent de l’écran, écoutent attentivement le discours de leur président et reviennent vers nous. Ils ont l’air grave en nous annonçant calmement: “ Les amis, c’est la guerre!”. La guerre? Comment ça la guerre? C’est quoi la guerre? Nous avons la chance de ne l’avoir connu que dans les films…
Le lendemain, le 8 août, nous continuons notre programme par une excursion dans le Caucase Nord, au pied du Mont Kazbegh qui culmine à plus de 5000 mètres. Coupés du monde, nous recevons des nouvelles du conflit grâce à nos téléphones: SMS venus d’Europe et dépêches AFP tombent régulièrement… Il paraîtrait qu’il y a 2000 morts à Tskhinvali, il paraîtrait que l’armée géorgienne a abattu 2, 4 puis 10 avions russes, il paraîtrait que l’aviation russe a bombardé Gori, en territoire géorgien… Le conflit s’étendrait donc hors de l’Ossétie. Comment vérifier cette information alors que nous sommes coincés dans un village de 500 habitants à deux pas de la Russie?
Parmi le groupe des 12, certains ont peur, d’autres restent très calmes, beaucoup doutent. Pendant la nuit, un avion passe au-dessus du village, un avion de ligne sûrement. En temps normal, personne n’aurait réagi mais là, dans ce contexte, des images nous viennent immanquablement en tête, des images terribles. Nous décidons de regagner la capitale pour être plus proches de nos Ambassades et de l’aéroport, juste au cas où!
Sur la route de Tbilissi, des bus jaunes, remplis des jeunes appelés, semblent partir vers le front. Les familles saluent leurs fils. Sur les ponts, des militaires armés de kalachnikovs sont prêts à défier les hypothétiques attaques aériennes russes…
Arrivés dans notre auberge du centre, nous contactons nos Ambassades pour suivre les instructions éventuelles. Pour Lucrecija la Croate et Vadim le Moldave, c’est simple, ils n’ont pas d’Ambassades en Géorgie. Léo l’Espagnole et Gonçalo le Portugais doivent contacter les autorités allemandes. Anita et Margo, toutes deux polonaises, apprennent qu’elles seront évacuées le lendemain à l’aube. Dépitée par l’indifférence des représentants grecs, Antonia arrive à prendre une des dernières places pour Athènes et s’envole le soir même. L’Ambassade italienne contacte Maria pour une évacuation éventuelle le lendemain. Quand aux 4 Français, nous contactons nos autorités qui nous répondent: “Pas d’évacuation pour les Français mais si vous pouvez, il est conseillé de sortir du pays”. Rassurant…
La nuit du 9 au 10 sera courte. Nous nous levons tôt pour l’aéroport. Il s’agit de trouver un vol, n’importe lequel. Léo achète la dernière place pour Vienne tandis que nous apprenons que l’aéroport militaire non loin a été bombardé pendant la nuit. Le conflit touche la capitale. Les vols sont annulés les uns après les autres. Que fait-on? Vadim décide de rester à l’aéroport et attrape finalement un vol pour Antalya en Turquie. Nous rentrons dans le centre, de 12, nous ne sommes plus que 7. Nous appelons une nouvelle fois notre Ambassade: “ Toujours pas d’évacuation pour les Français!”. L’Italie au contraire contacte Maria pour préciser le rapatriement…
Que faire? On apprend le blocus maritime, le port de Poti a été bombardé, le conflit s’étend à l’Abkhazie. Les troupes russes se rapprocheraient de la capitale. Notre auberge se vide, tous les étrangers quittent la ville pour l’Arménie mais notre Ambassade est toujours très calme. On nous parle de problèmes logistiques pour rapatrier les Français de la capitale, cette excuse ne nous convient pas puisque la Pologne, l’Italie et la Lituanie ont déjà affrété des avions. Nous commençons à comprendre. Il paraîtrait que Bernard Kouchner arrive le lendemain en territoire géorgien. Il ne faut donc pas évacuer les Français, ce serait un mauvais signal politique!
Enfin, vers 14h, dimanche 10, nous recevons un appel de la Délégation de la Commission européenne. Les autorités italiennes ont accepté de nous rapatrié. SMS: RV à 17h, place de l’Europe, 3 bus avec des drapeaux italiens… 110 Italiens, 20 Géorgiens et 20 citoyens européens dont 4 Français. Nous ne sommes pas évacués grâce à notre nationalité mais grâce à notre statut.
Nous quittons Tbilissi sous le regard inquiet des habitants. Si les étrangers partent, que va-t-il se passer dans les prochaines heures? Nous roulons 8 heures sur les routes sinueuses géorgiennes et arméniennes. Arrivés à Gomry, Gonçalo décide de rester dans la ville tandis que nous embarquons dans un avion militaire italien. 8 heures plus tard, les 6 derniers stagiaires arrivent a Ciampino, base militaire romaine.
Très rapidement, les autorités italiennes s’occupent de leurs ressortissants. Maria retrouvera donc sa famille napolitaine quelques heures plus tard. Lucrecija, de son coté est directement prise en charge par l’Ambassade croate: un taxi et un vol pour Zagreb l’attendent. Restent les 4 Français!
Convaincus que les autorités françaises nous aiderons, cette fois-ci, à rejoindre notre pays, nous contactons le Consul de France de Rome. Après une heure d’hésitation et, après avoir contacté la cellule de crise à Paris, celui-ci nous conseille de prendre un vol “low-cost” ou un train pour rentrer à Paris. Nos retours en France ne seront pas pris en charge: “Désolé mais débrouillez-vous, l’évacuation n’était pas obligatoire”.
Nous voilà donc à Fumincino, le plus grand aéroport romain, à la mi-août: vol pour Lyon 470 euros, vol pour Paris 800 euros! On ne nous invite pas à nous reposer au Consulat. Exténués par trois jours de stress intense, de nuits courtes et de voyages mouvementés, nous commençons à maudire sérieusement notre pays. Comment se fait-il que la France, ce si grand pays, n’aie pas les moyens de rapatrier ses jeunes citoyens échappés d’un pays en guerre?
Loubna prendra finalement un vol le soir même en payant le prix fort. Loïc et Jean resteront une nuit à Rome tandis que je contacte mes amis italiens… comme une envie de boycotter mon pays, dégoûté et envie de vomir! Dans le train pour le centre, j’apprends que notre Président s’apprête à s’envoler à Tbilissi avec le “plan français pour la paix” tandis que Kouchner, déjà sur place, vient de faire un discours vibrant en affirmant que la France n’abandonnera jamais ses ressortissants. L’évacuation française aura lieu dans la nuit du 11 ou 12 alors que la plupart des étrangers ont déjà quitté le pays par leurs propres moyens.
J’ai décidé de rester quelques semaines en Italie, ma seconde patrie. J’essaie de comprendre ce conflit stupide et de comprendre surtout la non-action des autorités françaises pendant les premiers jours du conflit, entre le 7 et le 10 août. Je lis, je m’informe, j’échange avec mes camarades d’infortune… Dans La Repubblica, je lis que les services secrets américains auraient été au courant des préparatifs de cette guerre et qu’ils n’auraient pas dissuadé Saakachvili d’attaquer l’Ossétie du Sud. Pourquoi? Je lis également que les Russes, ayant évacués femmes et enfants de Tskhinvali une semaine avant que la capitale sud-ossète ne soit rasée, attendaient impatiemment l’attaque géorgienne.
Et en France? Que savait-on? Connaissions-nous le plan d’attaque géorgien? Savait-on, dès le début, que cette guerre serait éclair, que les Russes réagiraient violemment tout en s’abstenant de prendre Tbilissi? Ceci expliquerait en grande partie la nonchalance de nos autorités. Il est inutile d’évacuer les ressortissants français puisque, de toute façon, le plan “français” pour la paix est déjà rédigé et qu’il sera accepté rapidement par les deux parties. J’ai été très surpris de voir notre Président Sarkozy proposer un plan de paix avant même d’avoir organisé le retour de ses compatriotes dans l’hexagone.
Vous connaissez le jeu Risk? Il s’agit d’essayer de prendre un territoire à l’adversaire afin de tester sa capacité de résistance. Et si la Géorgie n’avait été que le terrain de jeu des grandes puissances de ce monde en mal de sensations géopolitiques. Russes et Américains ont choisi leurs camps depuis bien longtemps. D’un coté, on laisse un jeune leader imprudent mais allié, aller provoquer l’adversaire historique. De l’autre, on réagit de manière disproportionnée à cette agression afin de montrer au monde qu’on est toujours capable d’intervenir militairement contre un Etat souverain. Les Européens et leur “Soft Power” arrivent rapidement avec leur plan de paix qui ne préconise rien d’autre que le statut quo, que le retour à une situation de conflit gelé. Un scénario joué et maîtrisé d’avance? L’épisode géopolitique de l’été 2008? Pourquoi pas?
Les 12 stagiaires de la Commission sont tous sains et saufs dans leurs pays respectifs. Nous sommes partis Européens, nous sommes revenus nationaux. Les jeunes Géorgiens, eux, n’ont pas tous eu cette chance puisque beaucoup ont perdu leurs vies pour une guerre inutile, une guerre voulue avant tout pour d’obscures raisons géopolitiques. Espérons que, face à des comportements guerriers venus d’autres siècles, l’Union Européenne saura, dans un futur très proche, proposer une alternative crédible à la seule force armée. D’un point de vue plus personnel, espérons de cette expérience unique proche d’un conflit nous permette d’appréhender de manière moins naïve les réalités peu glorieuses des relations internationales du XXIème siècle. Espérons enfin que l’Europe de demain, riche de tant de trajectoires nationales différentes, saura s’affirmer sur la scène internationale afin d’éviter des parties de Risk inutiles et meurtrières…
Maxime Montagner
(Illustration : Philippe Perchoc)
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