C’était
il ya dix jours. Après une courte nuit, Thalys aux aurores oblige, je me
retrouvai dans les rues de Bruxelles, un peu perdu, jonglant avec les tramways au milieu d’indications aux noms
(Brouckère, Heysel) étrangement familiers.
Sur
le trajet je remarque un nombre important de fenêtres arborant des drapeaux
belges en signe de soutien à la nation défaillante, alors que je me dirige vers la
Vrije Universiteit Brussel.
Dans
quelques heures, les Français, encore fringuants, feront la nique aux All Greys,
dans un peu moins de temps, je flatterai mon côté groupie en applaudissant à
m’en faire mal aux mains un discours de Michel Rocard.
Michel
Rocard en live !
Car
ce monsieur, en compagnie de bien d’autres évidemment, a fait partie des
membres fondateurs du Forum China-Europa. C’était en 2005, l’Europe sous le
coup du double non franco-néerlandais semblait en difficulté mais ce n’a pas
semblé entamer ceux pour lesquels le modèle qu’elle représentait avait encore
quelque pertinence. Les mêmes, convaincus que le monde d’aujourd’hui et ses
nouveaux défis ne pouvaient se satisfaire d’une
gestion par les seuls états-nations et que seule l’élaboration d’une gouvernance
mondiale était à même de répondre à ces problèmes. Convaincus enfin que cette
dernière se construirait par la multiplication des échanges, des rencontres et
que ceux-ci devaient impliquer la société civile et tous les échelons de
décision locaux, régionaux et non pas seulement étatiques.
Pour reprendre les
termes de Pierre Calame lors du discours d’ouverture de cette première édition,
l’enjeu n’est rien de moins que d’apprendre à « gérer ensemble et pacifiquement notre maison commune. »
Bien
sûr l’ambition du projet peut prêter à sourire et on pourra juger dérisoires ces
réunions de militants idéalistes et d’institutionnels rompus aux discours qui ne peuvent que susciter
l’adhésion. Mais il faut peut-être se garder du sarcasme même si celui-ci est
intellectuellement plus facile que de tenter le jeu du vivre ensemble.
Quoiqu’il
en soit, me voilà maintenant sur place armé d’une documentation conséquente,
d’une flasque de cognac et de chocolat de bienvenue, fournis avec le badge
d’accréditation que j’exhibe fièrement (ce qui est, somme toute, d’autant plus
ridicule que personne à la ronde n’en est dépourvu).
Dans
l’amphi bondé des premières heures, quelques centaines de têtes aux oreilles
casquées (car rares sont ceux dans l’assistance à maîtriser les trois langues
des interventions) montrent des signes de fatigue. Car l’investissement durant
les deux premières journées d’atelier fut grand et c’est sans doute la raison
pour laquelle les discours un peu convenus qui ouvrent ces séances plénières en
irritent plus d’un ; ils semblent creux et comme en décalage par rapport
aux échanges précédents.
De
mon point de vue, seul Michel Rocard (oui, je suis partial mais l’applaudimètre
fut d’accord) s’en sort vraiment avec les honneurs.
En
peu de temps il pose le problème avec précision, rappelant l’ancienneté de la civilisation
chinoise qui remonte à l’Egypte ancienne, l’importance de ses découvertes puis
sa brutale fermeture au monde au 15e siècle, peine de mort à la clef,
pour qui envisagerait le commerce avec l’extérieur. En somme, après cinq
siècles d’absence, la Chine se réveille au monde et c’est vraisemblablement
(avec celui de l’Inde) le phénomène majeur de notre temps. Et ce phénomène fait
peur.
Parallèlement
la Chine se méfie de l’Occident, craint que celui-ci ne vienne dissoudre son
identité, ses valeurs.
Plusieurs
intervenants chinois insisteront d’ailleurs sur cette nécessité d’une défense
de l’identité. Ils reviendront également sur cette idée de réveil qui en a
visiblement froissés certains : peut-on assimiler aussi cavalièrement plusieurs siècles d’histoire chinoise à un simple
sommeil ? Ne serait-ce pas plutôt le résultat d’un indécrottable
occidentalocentrisme ?
Aux
européens qui leur reprochent de ne pas toujours jouer les règles du jeu ils les renvoient à leurs propres manquements, parfois à l’intérieur même de l’Europe.
Quand l’un pointe les aberrations écologiques, l’autre fait remarquer que telle
mesure sanitaire est un vernis pour le protectionnisme.
De
la difficulté du dialogue et des incompréhensions qu’on fait remonter pour les
dépasser, parfois…
Tout
cela est fort intéressant, enfin souvent, mais il ya quand même un gros non-dit qui pèse sur ces deux jours de
séances. Bien qu’évoqué ici ou là, le problème des droits de l’homme est
largement tu, et je ne peux pas me débarrasser d’une certaine gêne tout au long
de ces échanges. Jusqu’à ce que le sujet explose, brutalement, à la toute fin
du forum et, contre toute attente (enfin contre mes a priori sans doute) ce
sont des chinois qui l’abordent, des participants se mettant à
interpeller les représentants chinois, réclamant la parole et des réponses. Il
est alors question du droit à la parole dans la société chinoise, du manque de
protection des travailleurs, des inégalités criantes. L’échange est houleux,
plein de menaces plus ou moins voilées. C’est un moment très excitant, un
moment durant lequel, le forum semble extrêmement vivant avec ses faux airs
d’AG. On sent une parole chinoise prête à gronder, à réclamer sa part, son droit
à la décision. Un moment inquiétant aussi car je ne peux m’empêcher de penser
que les représailles sont possibles.
Viennent
les moments des au revoir, des rendez-vous donnés. Au prochain forum évidemment
mais aussi, au gré de rencontres plus informelles que projettent ceux qui,
durant quatre jours se seront liés à la faveur de débats parfois intenses. Même si on a appris
à se méfier des promesses de retrouvailles, des liens se sont tissés qui
semblent réels. Ce forum a initié quelque chose qui ne mérite ni haussement
d’épaule ni ricanement je pense.
P.S. :
cette note est déjà longue et pourtant j’ai la frustrante impression de n’avoir
parlé de rien. A n'évoquer que mes impressions durant les
plénières, je reste nécessairement en surface. J’aurai pu aussi évoquer dans le
détail les différents ateliers et les comptes-rendus qui en ont été tirés.
J’aurais aussi pu vous parler du charme de madame l’ambassadeur de la République
populaire de Chine, de la vison des artistes en chiens urinant ou encore des
discours, comment dire, un rien oublieux, de Georges Berthoin. Une autre
note ?
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