C’est un mantra tenace, entêtant, que depuis près de dix ans on entend dans la bouche des Christophe Aguiton, Clémentine Autain, JeanLuc Mélenchon et autres, tellement d’autres.
Une formule qui fait mouche, apte à donner sa ration de fuel à ceux qui n’en attendent qu’un peu pour entonner à pleins poumons les beaux refrains des justes révoltes.
Une vérité, rendue incontestable à force d’assénations : les inégalités salariales ne cessent de se creuser.
Sauf que c’est faux.
D’après un rapport du Dares : "La dispersion des salaires nets des salariés à temps complet du secteur privé hors intérim a légèrement diminué entre 1996 et 2004. C’est dans le bas de la hiérarchie que l’écart s’est réduit car les bas salaires ont été les plus dynamiques. Les écarts de salaires entre hommes et femmes persistent mais se réduisent graduellement. L’éventail des salaires se resserre quel que soit l’âge considéré et quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle. L’écart entre le salaire médian des cadres et celui des autres catégories socioprofessionnelles progresse légèrement, mais c’est dans le bas de l’échelle salariale des cadres que le resserrement est le plus marqué.[…] la dispersion salariale est la plus faible depuis le début des années cinquante."
Oh, ce n’est pas non plus l’âge d’or. La misère n’a pas été balayée et les inégalités persistent, mais c’est toujours irritant (ou amusant, ça dépend des jours) de constater qu’on est prompt à jouer sur le sentiment de révolte face à l’injustice, à en appeler à la morale alors qu’on s’affranchit aisément d’un rapport un tant soit peu rigoureux ou au moins documenté à la réalité. Enfin, moi je dis ça, c’est peut-être la réalité qui se trompe après tout.
P.S. (ah ah ah) : dans un registre assez voisin finalement, François s’inquiète car pour certains à gauche le mot démocrate semble pouvoir être synonyme d’insulte. (Oui mais la version AMERICAINE du mot démocrate ! Ah, le mal au carré en somme.)
Je crois que pour une fois je donnerais plus raison à Mélenchon qu'à toi : en fait, les inégalités augmentent bien, mais ce n'est pas contradictoire avec ce papier de la DARES. Je m'explique.
Camille Landais a publié un papier qui a fait beaucoup de bruit cet été : ce sont les 0,1% les plus riches qui engrangent quasiment toute la croissance des revenus depuis 10 ans. Le problème c'est que ce phénomène ne se voit qu'en prenant un microscope, que sont les données récupérées par l'administration fiscale (issues des déclarations de revenus, donc non pas au niveau individuel mais des foyers), selon la technique mise en place par Thomas Piketty. Ce qu'utilise la DARES, ce n'est pas un microscope, c'est au mieux une loupe grossissante, ce qui fait qu'elle ne voit que par tranche de 10%, où en effet les inégalités se sont légèrement resserées (surtout en bas de la distribution). Mais pour le salarié médian, les dix dernières années ont été dramatiques : moins de 6% de croissance du revenu, presque une stagnation totale, pendant que les 0,1% les plus riches gagnent en gros 40% en plus sur 10 ans.
Rédigé par : Markss | 26 septembre 2007 à 17:26
Aargh… On ne peut décidément pas faire confiance au réel…
Ceci-dit, d’après une étude de l’insee (http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP947.pdf) "entre 1996 et 2001, le niveau de vie moyen des Français a progressé de 10 % hors inflation. Toutes les catégories de la population ont connu une amélioration ; mais c’est aux deux extrémités de la distribution que les niveaux de vie ont le plus fortement augmenté. En termes d’inégalité, ces deux mouvements se compensent presque. Aussi les indicateurs globaux d’inégalité restent-ils stables. En revanche, la pauvreté a baissé d’un point sur la période."
Le fait qu’une catégorie minoritaire ait vu ses revenus s’envoler est il incompatible avec l’idée que, globalement, il y ait (je reprends les termes de l’institut de statistique) "compensation" ?
Pour reformuler ma question (de béotien sans doute) est-ce que l’utilisation du microscope n’aura pas tendance à mettre l’accent sur une inégalité visible pour des revenus compris entre 48.000 euros par an, pour les classes moyennes supérieures, et plusieurs millions voir un milliard par an pour les 0,1% alors que le mouvement général, sur l’ensemble de la population, est au resserrement ?
Rédigé par : aymeric | 26 septembre 2007 à 18:21
J'aime beaucoup la phrase en couverture de l'illustration : "Le parti a toujours raison, c'est la réalité qui se trompe".
Ca me rappelle plein de gens avec qui j'ai pu discuter.
Merci cher Aymeric d'éclairer d'un peu de joie (ô combien) mes tristes soirées.
Rédigé par : Thomas | 26 septembre 2007 à 22:00
quel sens du titre ! pas mieux.
Rédigé par : cecil | 27 septembre 2007 à 16:56
Merci merci mais je me suis visiblement pris en boomerang la leçon que je voulais donner.
Ce qui m'énerve le plus (outre que ce ne soit pas une bonne nouvelle que les inégalités augmentent [dans l'attente de précisions et réponses de Markss, je me fie à son avis d'expert]) c'est que cette étude de Camille Landais vient finalement donner raison à ceux qui affirmaient quelque chose en contradiction avec toutes les études qu'on pouvait jusqu'alors avoir sur le sujet.
Rédigé par : aymeric | 28 septembre 2007 à 09:47
La réponse de Markss n'est pas satisfaisante puisqu'il parle des 0.1% les plus riches et de leur revenus et non pas des salariés et de leurs salaires
Ceci dit, je pense que les inégalités de revenus sont appelées à se creuser dans l'avenir pour des raisons qui ont trait à l'évolution des produits que nous consommons
En effet, nous consommons de plus en plus de produits dont les coûts de production marginaux sont beaucoup plus faibles que les coûts moyens. Les spectacles de foot ou les logiciels de Microsoft en sont un exemple typique: une vente supplémentaire ne coûte quasiment rien et rapporte autant que la première
Le résultat c'est un revenu élevé pour Bill Gates ou pour les stars qui vont permettre d'avoir un nombre élevé de spectateurs
De l'autre coté, les bas salaires des pays développés sont évidemment concurrencés par ceux des pays en cours de développement mais la réalité serait plutôt de dire que le rapport entre les revenus chinois et français diminue Pourquoi choisir comme périmètre de la réflexion un seul pays et pas tout le globe si on dit que le phènomène est mondial ?
Rédigé par : Verel | 28 septembre 2007 à 21:23
@aymeric
En effet, les revenus les plus bas augmentent : c'est l'effet, entre autres, des "coups de pouce" répétés au SMIC, avec l'échelle des salaires qui suit un peu, mais pas complètement, d'où ce "malaise des classes moyennes" qui sont celles qui ont le moins vu leur revenu augmenter. Mais le fait de se concentrer sur les plus riches montre très nettement les évolutions du capitalisme, c'est ce qu'a montré Piketty dans ses travaux, sur la France et les US. C’est vraiment « là » que se jouent les mouvements les plus massifs.
Ah, et puis faut pas me faire confiance comme ça, je ne suis qu'un petit étudiant...
@Verel
Vous avez raison, mais en même temps Landais montre que pour la première fois cette augmentation s'explique surtout par les revenus du travail, et non par ceux du capital. Il ne s'agit pas nécessairement de salaires, mais aussi de primes (très pratiquées dans l'industrie financière où l'on peut soupçonner que se trouvent ces 0,1%).
Pour votre explication de l'augmentation "nécessaire" des inégalités, le phénomène que vous décrivez existe mais ce n'est sans doute pas le principal. Ca fait trois mois que j'ai un post sur les facteurs de l'augmentation des inégalités aux US dans les cartons (difficile à écrire : il y a 4 ou 5 théories concurrentes et un papier tous les mois qui renforce l'une ou l'autre), dont globalement la conclusion est : il n’y a pas de déterminisme technique, les institutions comptent aussi. En particulier, l'existence d'un salaire minimum a limité les inégalités en France par rapport aux US, la présence des syndicats aussi, et au niveau des 0,1 ça se joue dans les normes sociales (l'acceptabilité) des très hauts revenus, l'importance de la réputation des cadres dans l'évaluation d'une entreprise, etc.
Rédigé par : Markss | 29 septembre 2007 à 14:21
Les marges de manoeuvre du politique et des institutions existent mais il ne faut jamais oublier quelles ont leur limite. Ainsi, un SMIC élevé peut déboucher sur une exclusion du marché du travail pour les moins qualifiés. Rappelons qu'une étude montrait qu'en 2004 les jeunes non qualifiés sortis 3 ans avant du système éducatif étaient pour 40% d'entre eux au chômage, malgré la reprise récente et l'effet des exonérations de charge sur les bas salaires
Les salaires élevés des patrons et des financiers participent de l'idée que s'ils sont très bons ils rapportent beaucoup à leur entreprise, comme Zinedine Zidane ou Catherine Deneuve font monter les recettes. Il y a dans cette idée une part de réel et une part de mode, dans des proportions difficles à mesurer. Mais ce n'est pas un hasard si il y a peu le patron le plus payé aux USA était celui de Disney, une entreprise très concernée par les coûts marginaux faibles. Non que cela soit justifié économiquement forcément pour le patron mais cela entraîne des modes de raisonnement et de pratiques dominants
Rédigé par : Verel | 29 septembre 2007 à 21:40
La misère n'a certes pas été balayée, d'ailleurs certaines de nos rues ou stations de métro ressemblent à celles du Tiers-monde... Vive le libéralisme et le rêve américain...
Rédigé par : pas perdus | 03 octobre 2007 à 09:25
J'aime bien faire joujou avec ces données. Où l'on voit bien l'évolution par pays dans le temps, et les différences entre pays libéraux et "sociaux"
http://g-mond.parisschoolofeconomics.eu/topincomes/
Rédigé par : Piotronne | 07 décembre 2011 à 11:44
Hélas, ma connexion est actuellement trop médiocre pour que je puis faire, moi aussi, joujou avec ces données...
Rédigé par : aymeric | 07 décembre 2011 à 16:27