Depuis maintenant cinq ans, j’ai le sentiment qu’on n'en finit plus (qu’on le déplore ou qu’on le célèbre) d’enterrer les 35 heures.
Dernier avatar de cette manie funéraire dans le Monde d’hier avec une tribune revendiquant d’ailleurs ladite manie jusque dans son titre, "Les 35 heures : sans fleurs ni couronnes !"
Michel Godet, son auteur, s’appuyant sur un rapport du CAE sur la réglementation du temps de travail, les revenus et l'emploi, rédigé par Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg, fête donc à son tour la fin de ce supposé cadavre, éternellement condamné, semble-t-il, à être ressorti pour aussitôt redescendre en terre.
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Mais, disons la messe :
"Les études menées depuis plus de dix ans dans plusieurs pays et fondées sur des dizaines de milliers d'observations montrent que l'idée selon laquelle la réduction de la durée du travail crée des emplois n'a aucune validité empirique. Soyons clairs : à l'heure actuelle, aucune étude sérieuse n'a pu montrer qu'une réduction de la durée du travail se traduisait par des créations d'emplois."
Je veux bien. Effectivement on sait depuis quelques temps maintenant que le travail n’est pas un gâteau qu’on partage. Pour reprendre l’expression multi-citée d’Alfred Sauvy : "C’est le travail des uns qui fait le travail des autres."
La conclusion du rapport n’a donc rien d’un scoop.
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Pourquoi alors clairons et trompettes (à défaut de fleurs et couronnes) pour annoncer ce qui déjà se sait ? Pourquoi, surtout, ces excès de zèle, ces "on sait aussi que les effets collatéraux ont été catastrophiques sur la place du travail et de l'effort dans la société, sans oublier l'augmentation du stress, des accidents de travail et l'appauvrissement du lien social au travail" qui chargent frauduleusement et inutilement la barque ?
Les trente-cinq heures ont sans doute moins détruit le goût de l’effort et du travail que redynamisé la négociation collective. Ce qui est régulièrement décrit comme un carcan ne l’est plus depuis fort longtemps, les entreprises disposant bien souvent de nombreuses marges de manœuvres (heures supplémentaires, heures choisies, monétisation des comptes épargne temps…) pour pouvoir travailler davantage. Enfin, maintenant qu'à peu près 10% des salariés du secteur privé ne comptent plus leur temps en heures mais en jours, il serait très étonnant que l’on revienne partout en arrière tant cette disposition est parfaitement adaptée au travail des cadres.
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J’insiste sur cette dernière phrase car s’il est une leçon négative à tirer des 35 heures, c'est bien qu'il est contre-productif de procéder par mesures collectives globales, la branche étant sans doute un lieu beaucoup plus pertinent pour évaluer correctement les besoins d’entreprises d’un secteur particulier en fonction d’un cycle économique (parallèlement, les négociations individuelles entre employeurs et salariés sont trop disproportionnées).
Mais pour les amateurs de symboles (ou de vigoureux volontarisme étatique, il parait que c’est à la mode) des arrangements souples, ponctuels et adaptés ça ne vaut pas tripette.
Non, ce qu’il faut, c’est de la bonne grosse mesure décrétée et autoritaire fixant le juste niveau de travail en France et on en verra encore quelques temps des tribunes en réclamer ou les proclamer.
La "fin des 35 heures" a encore de l’avenir.
Intéressant billet mon cher Aymeric.
Plusieurs points sont soulevés ici, tout comme d'ailleurs dans la tribune du Monde, qui m'avait échappé.
En premier lieu, ce tort bien français, qui malheureusement ne semble pas près de s'éteindre : un centralisme à tout crin, dénoncé (déjà !) par Tocqueville en son temps. On décide d'en haut sans réellement prendre en compte la réalité locale, qui souvent permettrait d'éviter bien des bévues.
Deuxième point, et c'est celui qui est à la fois risible et désolant : tout le monde, en effet, s'accorde à dire que les lois sur les 35 heures ont été une catastrophe. Même certains responsables socialistes, au premier rang desquels Dominique Strauss-Kahn (qui si je ne m'abuse est l'un des penseurs de ces lois), reconnaissent - en privé, n'abusons pas - les effets négatifs qu'ont eu les 35 heures sur l'économie française.
Récapitulons : chez les catégories dont le temps de travail est horaire (en gros, les non cadres), baisse du temps de travail mais baisse concomitante du pouvoir d'achat (sinon du salaire).
Les cadres, quant à eux, sont globalement gagnants : leur temps de travail annuel a baissé (des jours de congé en plus), mais la charge de travail non. Le résultat est souvent un accroissement du stress, et de manière quasi systématique une "modération salariale", avec la généralisation de l'évolution des rémunérations "personalisées", où la performance personnelle est souvent le seul critère d'une ré-évaluation du salaire.
Cela dit, la mort des 35 heures n'est pas pour demain (je le déplore, bien que je fasse partie de ceux que cette mesure a favorisés). La moindre suspicion de vouloir revenir dessus fera descendre dans la rue des milliers de gens accrochés à leurs fameux "zakisocio", ceux-là même qui sont défendus becs et ongles par les hiérarques de la gauche et des différentes centrales syndicales.
Cela dit, et pour être équitable, rappelons que le précurseur de la réduction du temps de travail fut un ministre de droite, à savoir Gilles de Robien (à sa décharge sa loi - tiens, encore une - n'avait pas le caractère obligatoire des lois Aubry.)
Les 35 heures, un cadavre peut-être, mais il bouge encore.
Dans un genre plus festif, le premier qui arrive à placer dans son commentaire "Le travail rend libre" (ou "Arbeit macht frei" pour les germanophones) gagne un point Godwin.
Rédigé par : Thomas | 18 juillet 2007 à 21:43
Cher Thomas,
Quelques remarques :
Après un tableau aussi sinistre des effets des 35 heures sur les cadres tu te mets tout de même du côté des gagnants, c'est (un tout petit peu) paradoxal.
La loi Aubry s'est faite en deux phases. Si sa deuxièmes mouture fut bien une imposition autoritaire, la première version se situait plutôt dans une démarche de négociation et d’expérimentation. Je renvoie à ce qu’en disait, récemment encore, François Chérèque : « C’est la deuxième loi Aubry, par son application mécanique, qui a imposé le partage du temps de travail, et la CFDT ne l’a jamais approuvée. Nous étions partisans de la réduction du temps de travail par la négociation pour permettre des réorganisations et une hausse de la productivité. Ce qui a été positif, c’est ce qui a été négocié, et en particulier les accords d’annualisation, qui permettent de faire varier les semaines de travail de 30 à 42 ou 44 heures selon les besoins de l’entreprise. À Renault Sandouville, on a signé un accord qui anticipe en 2007 les RTT de 2008 où les salariés travailleront davantage, pour des raisons de carnet de commande. Sans les accords 35 heures, on n’avait pas de solution pour passer le cap de 2007 ! »
Je trouve toujours assez piquant de constater que ceux qui ont les mots les plus durs contre 35 heures sont souvent les mêmes qui réclament plus de flexibilité alors qu’elles correspondent aussi à (et là, c’est Emmanuel que je reprends) «une baisse du temps de travail sans diminution de salaire contre flexibilité, allégement de cotisations (ou plus exactement : fiscalisation accrue de la protection sociale) et modération sociale. »
Pour résumer, je n’ai pas très envie de me faire le défenseur acharné d’une loi qui n’est pas dépourvue de défauts et qui n’aura pas eu d’effets significatifs sur les créations d’emploi. Simplement je me dis que la façon dont on les leur tombe dessus régulièrement est carrément excessive voire un peu irrationnelle. Ça me rappelle un vieux billet d’Hugues, tiens.
P.S. : Tu t’es autodécerné un point Godwin là, non ?
Rédigé par : aymeric | 19 juillet 2007 à 19:18
Paradoxal dis-tu, je ne pense pas.
Etre du côté des gagnants n'interdit pas de s'interroger sur les bienfaits ou les méfaits de telle ou telle mesure.
Sur le détail des lois Aubry, force m'est de reconnaître que je suis moins calé que toi. Quant à Renault, j'y pensais quand je mentionnais un accroissement du stress induit par les lois sur les 35 heures : cf. les récents suicides (chez des cadres, tiens) qui ont défrayé la chronique. Peut-être n'y a-t-il pas de rapport, mais on peut quand même se poser la question.
M'enfin bon les 35 heures ont un tas d'effets induits assez négatifs, ne serait-ce que dans le domaine de la santé.
PS : en relisant mon commentaire, je me rends compte que oui, je l'ai bien mérité.
Mais je ne pensais à moi quand je l'ai écrit. C'était plutôt ce que les états-uniens appellent "preemptive strike"
Rédigé par : Thomas | 19 juillet 2007 à 21:33
les garçons,
si je prends le temps de vous répondre en plein milieu de mes 35h, c'est que la flexibilité n'existe pas vraiment. je devrais plutôt passer deux heures par jour au bureau régler le nécessaire et éviter de moisir presque 7h derrière internet. et si je vois autant de collègues qui rivalisent d'improductivité avec les légionnaires corses (je sais pas faire les liens hypertextes vers la bibliothèque familiale, mais vous avez sûrement en tête ces bulles légendaires "douuucement, douucement" qui tempèrent l'ardeur de la recrue qui veut vite écrire son rapport dans astérix en corse), si je reçois autant de mails sur le temps de travail pro, si j'aperçois autant de pauses café-cigarette qui s'éternisent, si je participe à autant de réunions interminables et stériles, c'est bien que:
35 heures c'est beaucoup trop quand c'est tout le temps.
et j'aimerais souligner ce paradoxe : on entend souvent des critiques sur les horaires loisirophages en primaire ou au collège, là où américains et allemands finissent les cours en début d'après-midi au plus tard. croyez-vous qu'on puisse être efficace 35h par semaine à l'âge adulte quand on s'endormait déjà sur les bancs d'école? "m'enfin, à d'autres!" aurait répondu gaston, l'employé type qui réussit à concilier loisirs et travail. car oui, en ce sens le travail rend libre.
Rédigé par : cocola | 24 juillet 2007 à 11:59
Les Hautes Autorités t'entendent !
Rédigé par : aymeric | 24 juillet 2007 à 14:51
Complétement d'accord avec la distinction faite par Aymeric entre les deux lois Aubry
L'une des erreurs du gouvernement Jospin a été de croire que ce qui avait été valable pour les entreprises ayant négocié dans le cadre de la première loi l'était aussi pour toutes les autres
La plupart de celles qui ont négocié avant 2000 avaient des enjeux d'aménagement du temps de travail importants, soit pour mieux utiliser les machines, soit pour adapter l'offre à la variété des besoins dans le tems, soit pour ouvrir plus souvent. Elles sont échangé la RTT contre de l'ATT et de la modération salariale.
Rédigé par : Verel | 25 juillet 2007 à 19:47