J’ai
lu il y a plusieurs mois dans Libération une interview de Jean-Claude Monod à
propos de Carl Schmitt – auteur que je ne connais pas, du moins, pas
bibliquement pour l’instant - et dans laquelle il indiquait que le juriste allemand,
longtemps une inspiration pour des cercles plutôt marqués à droite, était
devenu depuis quelques temps une référence chez certain penseurs de gauche
(Toni Negri, Gorgio Agamben, Etienne Balibar ou encore Jacques Derrida).
D’après
Jean-Claude Monod, ces penseurs puisent chez Carl Schmidt, "ennemi
intelligent" de la démocratie "doté d’un grand sens de la synthèse
et d’un art de la formule", les
moyens de détruire les grandes convictions de l’idéologie démocratique et
libérale - ironiquement, ces gens de gauche donnent donc dans l’une des
manières de rhétorique réactionnaire selon Albert Hirschman – en partant à la
chasse de ces points limites où la démocratie « tomberait le masque et
montrerait son visage de puissance et d’arbitraire ».
En
somme, lorsque l’Etat libéral devient policier et brutal, il montre
davantage sa vraie nature qu’il ne dérive.
.
Je
repensais à ces lignes anciennement lues lors d’une fin de soirée en compagnie d’amis qu’on dira par
commodité plus à gauche que moi.
Certains
parmi ces derniers lisent parfois ce blog (bonjour !) et ne manquent pas
d’être, d’après ce que j’en ai compris, en désaccord fréquent avec les propos
ici tenus.
Un
point plus particulièrement achoppait : mes régulières louanges à Pascal
Lamy.
Ma
conviction est que, si l’OMC n’est pas le dispensateur des bienfaits sur terre,
il a au moins l’avantage d’être la plus démocratique des institutions
internationales et, qu'à promouvoir le multilatéralisme en matière de négociations
commerciales, on modère un peu les déséquilibres qui s’expriment plus pleinement
lors de négociations bilatérales.
A
quoi il me fut répliqué que ces améliorations n’étaient que poudre aux yeux et
qu’au final seules les grandes puissances (en premier lieu, évidemment, l’hyper
puissance) imposaient leurs vues et que c’était cet état, de fait, qu’il fallait
au préalable renverser et que l'OMC, en tant que complice, était condamnable ; le mieux n'étant pas le Bien, il n'est que le masque du Mal.
.
Le
problème, face aux désirs maximalistes, est que vos adversaires prendront vos
nuances pour des renoncements, pour de la capitulation.
On
a tôt fait d’être dénoncé comme un tiède (de ceux que Dieu vomit) face à la
culture protestataire que Michel Rocard
dénonce comme étant finalement une culture de l’impuissance.
Je
ne suivrai ceci dit pas forcément ce dernier lorsque, dans un excès bilieux, il vitupére
de manière un peu excessive contre "ce goût du discours excessif, du
pathos lyrique… Cet absolu mépris des rudes
contraintes de l’art de produire et de distribuer que par convention on appelle
l’économie..." car cette caricature ne concerne heureusement pas les amis
en question.
.
Néanmoins il y a, je crois, une vraie différence de rapport au monde et à soi, quelque
chose de l’ordre de la différence entre "éthique
de conviction" (Gesinnungsethik) et "éthique de responsabilité" (Verantwortungsethik)
que pointait Max Weber.
Dans
son livre "Dialogue sur la morale", François Jullien oppose le
souci du monde ou conscience soucieuse à la suspicion du monde, cette tendance
de l’homme, "qu’il soit parti de l’expérience du péché ou de celle de son
affliction à [commencer par] porter un jugement négatif sur le monde",
tendance à mon avis à l’œuvre dans le désir de tabula rasa ou d’un autre monde.
Tendance
à laquelle je suis, il me semble, assez étranger.
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