Dans un passage de leur livre commun, Michel Rocard et Fritz Bolkestein s’affrontent à propos du problème de la répartition capital/travail, véritable lieu commun de la gauche depuis qu’Attac a brandi cet argument/slogan au début du siècle. Malgré toute l’admiration que j’ai pour l’ancien premier ministre je dois admettre que ce n’est pas lui qui, sur ce point précis, est sorti vainqueur de la joute.
Andrea Bonappeti le rappelait il y a peu de temps, pour frappant qu’il soit, cet argument est finalement assez faible. D’abord parce que derrière ces mots très connotés (capital et travail) se cachent des réalités assez complexes (« La "part du travail" contient non seulement le salaire net, mais également les charges sociales salariales et… patronales. La « part du capital » contient non seulement les dividendes des actionnaires, mais également les amortissements, la formation nette de capital fixe et… les impôts sur les sociétés »). Il serait plus pertinent de faire une analyse de la progression des inégalités mais il s’avère que celles-ci sont plutôt en diminution. Certes, ce n’est pas parfait, des poches de la population restent confinées dans la pauvreté et quelques uns de nos voisins européens sont là pour nous montrer que nous pouvons (devons) faire mieux. Mais une situation ambiguë ce n’est sans doute pas assez percutant quand on en appelle à un autre monde.
Ensuite, et ce fut d’ailleurs un des arguments de Fritz Bolkestein, la part des salaires dans la plus-value totale de l’économie, étudiée sur une période plus longue que ces trente dernières années, est globalement stable. Globalement, ce qui veut dire que s’il y a régulation, cela n’est pas incompatible avec des réajustements ponctuels et qui peuvent être brutaux. D’une certaine manière, la baisse de la part des salaires de ces dernières années était inévitable. D’après Thomas Piketty, « les bas salaires avaient progressé trois fois plus vite que la production de 1968 à 1983, rythme qui n'est pas soutenable éternellement, dans une économie ouverte comme dans une économie fermée. »
Ce recul n’est donc pas plus l’effet d’un vaste complot bruxello-capitalisto-neo-libéral qu’il n’est irrémédiable. La preuve, la tendance semble s’inverser : dans une courte interview parue dans le Monde d’hier, l’économiste Patrick Artus déclarait : « Contrairement à certaines idées reçues, depuis 2000, la valeur ajoutée s'est déformée en faveur des salariés. La productivité augmente en moyenne de 1 % et les salaires de 2 %. »
Cette histoire de répartition de la valeur ajoutée est une vaste blague. D'abord, tout change selon ce que l'on calcule, et il ne s'agit pas seulement des difficultés relevées chez Optimum : il faut par exemple réintégrer dans la rémunération du travail celle des non-salariés, travailleurs indépendants, professions libérales. Sur quelles bases ? Plus on place la barre haut, plus la part rémunérations sera gonflée.
Ensuite, les séries statistiques sur lesquelles s'appuient les gens d'ATTAC ont toujours comme origine 1983. Avec la stagflation de la fin des années 70, salaires indexés sur l'inflation et pas de croissance, la part des salaires avait augmenté au point de siphonner les revenus du capital : plus de revenus, donc plus d'investissement, la mort des entreprises à court terme, d'ou le tournant de la rigueur, et la fin de ce moment historique où la répartition a été la plus favorable aux salariés. Ensuite, forcément, elle ne pouvait que baisser. Prendre comme référence ce moment exceptionnel et pas une année moyenne, disons 1970, et faire comme si, c'est démontrer qu'on est un escroc.
Très joli thème, sinon ; mais ça fait plus septième que cinquième. On s'embourgeoise ?
Rédigé par : Denys | 04 mai 2007 à 22:29
Sur le tournant de la rigueur et l'importance de Bérégovoy dans celui-ci il y a des pages très intéressantes dans le bouquin de Thesmar et Landier.
Sinon, pour l'embourgeoisement, ben on essaye...
Rédigé par : aymeric | 05 mai 2007 à 17:07
Effectivement, la part plus importante des salariés dans la valeur ajoutée entre 75 et 85 est une parenthèse par rapport à une remarquable stabilité sur le long terme
Il faut rappeler que cette part accrue à en réalité coûté très cher aux salariés en question, qui l'ont payé par l'explosion du chômage (1.5 millions à mon avis, malheureusement de manière durable)
La déformation de la répartition est la conséquence des deux chocs pétroliers successifs qui ont été quasiment abosrbés par les seules entreprises (D Cohen l'explique très bien dans un de ses premiers livres, les infortunes de la propsérité je cois (sans garantie). Les mesures de la gauche en 81 ont accru le phènomène etst la pointe se situe en 1983, ce qui explique le plan de rigueur Delors Mauroy
La situation de la régie renault à, l'époque illustre bien les conséquences de ce partage: elle perd 10 milliards de francs en 1984.
La Sidérurgie fait pire: la part des salaires dans la valeur ajoutée est supérieure à 100%!
Les entreprises qui n'avaient pas l'Etat comme actionnaire ont disparu en masse à cette époque
Pas la peine de chercher ailleurs les causes de la montée du chômage que nous payons encore aujourd'hui
Rédigé par : Verel | 06 mai 2007 à 09:42
En dehors de cette explication commode du choc pétrolier, Verel est dans le vrai. Sauf que le prix dont il parle n'a pas été payé par tous les salariés, mais une partie seulement, ceux qui travaillaient dans les secteurs les plus menacés, sidérurgie, textile, mines (mais je crois me souvenir que, sur ce dernier point, Verel a un avis d'expert), et les moins qualifiés d'une manière générale.
J'ai quelque par dans mes archives un graphique extrait d'un rapport du CAE qui montre l'évolution de l'effectif des salariés de Renault par qualification entre 1955 et 1995, en gros. On voit que, entre 1970 et 1990, les effectifs ont été divisés par deux. Les OS, catégorie la plus nombreuse en 1970, avaient pratiquement disparu en 1985 ; les autres catégories étaient restées satbles, ou avaient augmenté.
C'est dans ces années-là qu'on a testé l'exclusion : on a vu que ça marchait pas mal, et on l'a gardée.
Rédigé par : Denys | 06 mai 2007 à 16:19
La courbe du partage de la valeur ajoutée (voir chez Denis castel article du 24 12 06) a bien était impactée par les chocs pétroliers
Pour ce qui est de l'évolution de l'empoli, on assiste dans les années 70 dans l'industrie à la révolution de l'automatisation
Dans cette révolution, les entreprises s'aperçoivent que les moins qualifiés ont beaucoup de mal à s'adapter à l'évolution des postes. Ils vont donc, pour éviter de se trouver confrontés au même problème plus tard, embaucher des gens dont ils pensent qu'ils seront capables de s'adapter. Dit autrement, ils vont surqualifier l'embauche
Comme il y a du chômage, ils peuvent le faire et ne s'en privent pas
Le chômage par qualification va donc très progressivement se déformer au détriment des moins qualifiés, et ce, malgré la part beaucoup plus faible que précédemment de ceux ci dans ceux qui sortent de l'école
maitenant, il faut faire attention aux outils pour mesurer. Le travail à la chaîne n'a pas disparu dans les usines automobiles. Simplement, on a changé la classification...
Ce qui n'epêche pas que la proportion d'ouvriers au total est passée sous la barre des 50% autour de l'année 1990
Rédigé par : Verel | 06 mai 2007 à 17:49