Est-ce que ça recommencerait ?
Deux tribunes successives dans les Echos d’hier qui nous semblent chanter l’air connu du « Sus à la BCE, l’euro est responsable de nos maux, nous ne laisserons pas Trichet décider de notre avenir, etc etc. »
Que ces refrains m’irritent, en particulier ceux qui, caricature de démagogie, insistent sur le mythique couple « eux » (l’armada des comploteurs : les banquiers, les bureaucrates européens, les lobbys pétroliers, les gouvernants,…) et « nous » (le bon peuple, victime éternelle). On simplifie de manière à s’offrir un bon gros coupable à châtier qui a en plus l’immense mérite de nous éviter toute remise en cause.
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Petite revue des dernières accusations, commençons avec Gérard Lafay :
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- «le passage à l'euro fait d'abord disparaître tous les repères habituels des prix en monnaie nationale ; permettant une hausse insidieuse des prix intérieurs.» Ah, j’aime beaucoup, ça sent son coup en douce, son petit complot (« hausse insidieuse »). En rajouter une louche sur les polémiques un peu délirantes sur l’inflation, après tout, ça ne fait pas de mal…
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- «L’économie intérieure de l'Allemagne est malade, comme celles de la plupart des pays de la zone euro.» Oui, enfin j’ai surtout l’impression que c’est essentiellement en France qu’on le dit. Il y a quelques semaines, le journal espagnol El Pais titrait « l’Euro, l'histoire d'une réussite à une échelle sans précédent ». Puis, un peu plus loin : «D'un point de vue purement espagnol, le pari sur l'euro a été généreusement récompensé dès sa conception.» Alors, certes, l’euro favorise aussi l'apparition de déséquilibres économiques nationaux, comme c’est justement le cas de l'Espagne, dont le déficit commercial record n'est supportable qu'en raison de son appartenance à une zone euro dont les comptes extérieurs sont globalement à l'équilibre. Le système de monnaie unique aurait donc aussi ses effets pervers, il ne serait donc pas miraculeux. Au fond, c’est peut-être ça qu’on lui reproche.
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- « En illustrant les oppositions d'intérêts à l'intérieur du corps social, seul le bilan de l'euro cher permet de comprendre le résultat du 29 mai 2005. Loin d'avoir été accidentel, ce référendum a mis au grand jour la rivalité essentielle entre deux camps opposés : d'un côté, les bénéficiaires de l'euro cher et d'une libéralisation sauvage, partisans naturels du « oui » (principalement les grandes entreprises et les élites mondialisées, les vieux et les retraités) ; de l'autre, les victimes rassemblées logiquement autour du « non » (la grande masse des salariés, les petits patrons, les jeunes et les chômeurs). Apparue à cette occasion, cette nouvelle ligne de clivage va s'imposer de plus en plus dans l'avenir.» Il me parait évidemment de première importance de se soucier des moyens efficace de remettre les « perdants » dans la course. Mais, il ne me semble pas démontré que l’arrivée de l’euro (et ici de l’euro cher) soit le seul ni même le principal responsable de cette « ligne de clivage ». Je crois qu’on est là dans le mythe. Un peu comme avec la mondialisation coupable ou l’incessante montée des inégalités, on masque des problèmes réels avec des slogans, ce qui est sans doute le meilleur moyen de ne pas les traiter.
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Maintenant Benoit Hamon, qui vient un mois après apporter des arguments à l’une des déclarations de Ségolène Royal : « Ce n'est plus à M. Trichet de décider de notre avenir, c'est aux dirigeants démocratiquement élus ! ». Il ya encore peu de temps ce genre de petites phrases (dont Madame Royal n’a pas le monopole, quasiment tous les bords politiques pestant avec ostentation contre l’absence de contrôle démocratique de la BCE) me paraissait doublement condamnable car, comme le résumait bien Jean Pisani-Ferry, « l’élu(e) du 6 mai 2007 n’aura strictement aucune chance de rogner l’indépendance de la BCE. Pourquoi le suggérer, alors ? […] En donnant de manière répétée le sentiment qu’ils n’adhèrent pas aux principes fondateurs de l’union économique et monétaire, les dirigeants politiques français créent ainsi les conditions pour que toute proposition de progrès de sa gouvernance soit désormais regardée avec méfiance. » Mais, dernièrement, et toujours chez Telos-eu, Laurence Boone nuançait quelque peu : « En réalité les choses ne sont pas si claires dans le Traité de l’Union Européenne et les propositions des candidats à la présidentielle devraient donc mériter un peu plus d’attention. » mais arrivait tout de même à cette conclusion : « Au total, il ne paraît pas raisonnable de suggérer que des inflexions significatives puissent être données à la politique monétaire par le biais d’injonction des gouvernements européens. En revanche, sous réserve d’une volonté similaire chez nos voisins de la zone euro et de la coopération de la BCE, à court terme les autorités politiques pourraient fournir des lignes directrices sur le change de l’euro, et à moyen terme les gouvernements de la zone euro pourraient insuffler plus de légitimité démocratique à l’objectif de stabilité des prix. »
Benoit Hamon, malgré son volontarisme vitupérant, n’est pas forcément toujours très éloigné de cette position en évitant les pauses révolutionnaires tout en s’appuyant sur les traités ce qui, je vous l’avoue m’a plutôt surpris. Bon, il n’évite pas toujours quelques facilités du genre : «la BCE met au premier plan l'objectif de la stabilité des prix, reléguant au second la croissance et l'emploi. » mais l’ensemble n’est pas complètement inintéressant.
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Au final, comme il semble que l’Europe aura sa place dans la campagne présidentielle mais qu’elle sera plus ou moins du côté du banc des accusés et qu’il est fatiguant de nager à contre-courant, je vais moi aussi y aller de ma critique contre la monnaie unique qui aura eu cet immense inconvénient de ne pas nous montrer la médiocrité de nos gouvernements nationaux. Comme l’écrivait il y a peu Pierre-Antoine Delhommais « Avant la création de l'euro, les mauvaises politiques économiques, les crises sociales ou politiques se traduisaient tôt ou tard par des attaques contre la devise nationale, qui obligeaient les dirigeants à corriger le tir. Grâce au bouclier de l'euro, le gouvernement de Dominique de Villepin a pu résister à la crise des banlieues ou à celle du CPE. »
J'entendais hier M. Leclerc, des supermarchés du même nom, s'exprimer à ce sujet. Bien qu'en général je ne porte pas sa politique dans mon coeur... je dois avouer que j'étais plutôt d'accord avec lui.
Il disait que beaucoup accusaient l'euro d'être responsable de la baisse du pouvoir d'achat des ménages ; mais que lui pensait, qu'en dehors du poste "logement" qui a réellement augmenté, ce n'étaient plus les biens de consommation courante qui occupaient le haut du panier... de la ménagère.
Une part, non négligeable, du budget familial est englouti dans des "achats" de loisirs, que les ménages ne perçoivent malheureusement pas comme tels, puisque les payements se font, majoritairement, sous forme d'abonnements.
Portables, internet, télévision satellite... un budget pouvant atteindre facilement les 100 € par mois ! Sans compter les achats du matériel nécessaire : ordinateur, téléviseur, lecteur DVD, consoles de jeux, qui bien que de plus en plus abordables, nécessitent un renouvellement plus fréquent que le bon vieux poste de nos grands-parents, qui trône encore aujourd'hui au milieu du salon...
Ces "achats" coup de coeur représentent quasiment un treizième mois !
Rédigé par : boudi | 10 janvier 2007 à 09:07
Là, tu as raflé le prix...le titre : "No more euros anymore", je m'en suis estrangler de jalousie.Leur période hargneuse avec aussi "the raven" et "black and white".
Pour ce qui est du panier de la ménagère, d'accord sur le fait que la multiplication des abonnements "communication" n'est souvent pas perçu par les consommateurs. On se crée des besoins sans s'en rendre compte. Le pire est que souvent ce système de forfait et d'abonnement pèse d'autant plus qu'on n'est pas gourmand.Si on était très consommateur de communication (que ce soit téléphone ou internet)la facture s'est plutôt allégée.
Rédigé par : le passant | 10 janvier 2007 à 13:20
@ boudi,
Très juste. C’est tellement plus facile de pointer une cause extérieure que de remettre en cause ses propres dépenses.
@ le passant,
Depuis cette note, l’air de « no more heroes anymore » ne s’est pas désincrusté de ma tête. J’ai peut-être besoin d’une petite cure de punk cornwello-burnelien.
Rédigé par : aymeric | 11 janvier 2007 à 11:20
Et le symbole jaune de l'euro comme une illustration de "always the sun" ? Car on ne peut pas occulter cette période durant laquelle The Stranglers ont donné naissance à des titres plus pop mais pas dénués d'intérêt (je pense notamment à Golden Brown).
Depuis l'euro, les Français ont l'impression d'être pris à la gorge par des difficultés financières. The Stranglers ne sont aucunement responsables de ce sentiment !
Rédigé par : Zaz | 11 janvier 2007 à 16:19
t'es fauché ?
Rédigé par : Christie | 12 janvier 2007 à 10:43
@ Zaz,
Tu as diablement raison, cessons d’accabler les Etrangleurs !
(Sinon, Golden Brown : oui ; Always The Sun : bof, enfin il faudrait peut-être que je réécoute...)
@ Christie,
Non, ça va, juste un peu ; normalement fauché quoi (une maladie d'après fêtes assez courante, non ?).
Rédigé par : aymeric | 12 janvier 2007 à 11:10