A
la lecture du dernier article publié chez Telos-eu, par Zaki Laïdi himself,
m’est venue l’idée d’une petite provocation gratuite à l’égard d’Emmanuel sur
le mode : « quelque part Alexandre Adler avait raison, il ya chez ces
démocrates américains quelque chose d’isolationniste mais il n’est pas où il
était le plus attendu. »
Car
ce que l’auteur pointe chez quelques nouveaux élus démocrates est bien de l’ordre
de l’enfermement, il s’agit d’une tendance au protectionnisme : « Sur
les 14 sièges de sénateurs qui étaient ouverts cette année à la compétition, 12
ont été gagnés par des démocrates opposés au libre échange. […] Il est
incontestable que le soutien politique en faveur des accords de libre échange,
tant bilatéraux que multilatéraux, s’érode très sensiblement. L’accord de
libre-échange avec l’Amérique centrale n’a été ratifié qu’à une courte
majorité, et il y a de très nombreux parlementaires qui se sont même opposés à
un accord avec un pays aussi modeste que le Sultanat d’Oman. Ce biais anti
libre-échangiste est plus fort chez les démocrates dont l’électorat ouvrier est
plus important. Et on peut imaginer sans peine que si 22 représentants
démocrates seulement ont voté en faveur d’un accord avec le Sultanat d’Oman,
ils seront encore moins nombreux pour approuver des accords avec le Pérou, la
Colombie ou la Corée. Le renouvellement du mandat de négociation du Président
Bush pour clore les négociations de l'OMC paraît bien compromis. »
Provocation,
disais-je car comme Zaki Laïdi s’empresse de le préciser plus loin, il s’agit là
en grande partie de particularités régionales et « en Californie ou dans
l’Etat voisin de Washington par exemple, les démocrates sont massivement
libre-échangistes et donc antiprotectionnistes. Les chances d’un repli
protectionniste massif des Etats-Unis sont faibles. »
Néanmoins,
cette tendance, si légère soit-elle, a quelque chose d’agaçant et de curieux.
Curieux
d’abord car il me semble que les économistes sont consensuels sur ce
point : les barrières tarifaires sont plus nocives qu’utiles à l’emploi.
Gary Hufbauer et Ben Goodrich avaient par exemple calculé que l’instauration de
telles barrières en ce qui concerne l’acier, si elles avaient préservées
environ 3500 emplois chez les producteurs américains, en avaient également
détruit entre 12000 et 43000 chez les entreprises utilisatrices.
Joan
Robinson, pourtant peu suspecte de sympathie ultralibérale, avait sur les
tentations protectionnistes cette formule cinglante : “The popular view
that free trade is all very well so long as all nations are free-traders, but
that when other nations erect tariffs we must erect tariffs too, is countered
by the argument that it would be just as sensible to drop rocks into our own
harbours because other nations have rocky coasts...”
D’une
manière générale, dans un pays - les Etats-Unis - qui, entre septembre 2005 et
septembre 2006 a pu observer « d’un
côté, [la] destruction nette de 15 000 emplois et, de l’autre côté, [la] création de
près de 2 millions d’emplois » il y a quelque chose de malhonnête à faire
du libre échange un destructeur massif d’emplois.
Et
c’est justement ce qu’il y a d’agaçant : que des hommes politiques,
certainement au fait de ces données, se contentent de faire dans le bas
électoralisme. Certes, comme le rappelaient Kramarz et Zylberberg dans leur article
« Les ennemis de la concurrence et de l’emploi », « Les destructions
d’emploi sont souvent synonymes de drames personnels. La détresse et la colère
peuvent être facilement instrumentalisées, tandis que les créations d’emplois
sont le plus souvent diffuses et, en règle générale, il n’y a rien à
montrer. » Mais il me semble que c’est justement l'un des rôles des politiques
que de faire de la pédagogie au lieu de jouer sur les peurs et de dire qu’il
n’y a rien à espérer du protectionnisme, et qu’il faut davantage se pencher sur
les moyens d’assurer aux perdants une réintégration à moindre
frais.
Enfin, cette tentation du repli a ceci de bien commode qu’elle évite de se poser des questions sur ses propres dysfonctionnements. La mondialisation, c’est les autres. Pourtant, toujours selon Zaki Laïdi, «nous avons en France à la fois un des plus hauts taux de chômage de l’OCDE et le plus bas taux de pénétration des importations à bas salaire.» Cherchez l’erreur...
dessin réalisé par Lalé Abel
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