Le cycle de négociation de Doha n'est donc pas encore mort et enterré. Pascal Lamy a annoncé dimanche dernier, lors d'une conférence de presse à l'issue d'une réunion à Rio de Janeiro de représentants du G20, des Etats-Unis, du Japon et de l'Union européenne qu’il y avait accord pour une reprise des discussions sur un nouveau cycle de libéralisation des échanges mondiaux. Alors, évidemment, il ne faut pas s’emballer. Moribonde il y a peu, l’affaire est encore en convalescence. Le directeur général de l’OMC a d’ailleurs lui-même tenu à tempérer les ardeurs en déclarant qu'aucune date n'avait été fixée pour la relance de ces discussions, et qu'il faudrait encore travailler pour réduire les divergences sur les subventions agricoles et l'ouverture des marchés intérieurs. Prudence donc même s’il est difficile de réprimer son plaisir d’autant qu’il est chez moi mêlé de soulagement.
Il y a un peu moins d’un mois, Pierre-Antoine Delhommais pouvait déclarer dans le Monde : «L'économie mondiale se porte bien. Les institutions internationales chargées de la piloter beaucoup moins. […] La gouvernance mondiale est au plus mal. Les leçons qu'on en tire dépendent directement du siège idéologique sur lequel on est assis. Pour les altermondialistes, il s'agit là d'une excellente nouvelle. Ils ont toujours considéré ces institutions internationales comme asservies aux intérêts des pays riches, des grandes multinationales, cheval de Troie des thèses néolibérales. Ce n'est pas leur meilleur fonctionnement qu'ils souhaitent, c'est leur disparition. Les ultralibéraux, de leur côté, ne pleurent guère. Pour eux, le fait que ces organisations, sans légitimité démocratique, soient en crise alors même que l'économie mondiale va bien constitue une preuve supplémentaire que la seconde n'a guère besoin des premières pour fonctionner. Au contraire. D'autres, enfin, s'inquiètent. Ils craignent que les déboires de ces institutions, dont le point commun est de promouvoir l'ouverture des économies, ne laissent présager un retour en force du protectionnisme, des égoïsmes nationaux ou régionaux. En un mot, qu'ils soient le signe avant-coureur inquiétant d'un grand renfermement économique. »
Mais voilà, le multilatéralisme n’avait pas dit son dernier mot et le travail conjugué de Pascal Lamy, du commissaire européen au Commerce Peter Mandelson (voulant rassurer le G20, qui craignait que les discussions reprennent à zéro, il leur assura que les Européens maintiendraient leurs engagements, et peut-être même les amélioreraient) ainsi que l’insistance d’un G20 (augmenté de quatre représentants de pays en développement plus pauvres) pour lequel "un échec n'est même pas envisageable".
Plus inattendu (mais pas moins plaisant) la représentante américaine au commerce, Susan Schwab se pose également en défenseuse du cycle et déclare même « Nous sommes conscients que nous devons réduire les subventions », consciente sans doute de l’animosité des autres négociateurs.
Elle a raison sur ce point : le ministre brésilien des relations extérieures, Celso Amorim, a à ce propos rappelé qu'il existait des convergences entre le G20, le Japon (lui aussi invité) et les Européens, mais pas avec les Américains.
Et oui, il faut aussi garder les pieds sur terre, ne pas s’emballer comme je le disais plus haut. La méfiance persiste entre les intervenants, et l’Europe ayant beau se poser en croisé du multilatéralisme, elle sait se réserver des cartouches de secours. Lors du sixième sommet Asie-Europe (Asia-Europe Meeting, ou ASEM) lundi dernier à Helsinki, le premier ministre finlandais, Matti Vanhanen prétendait : « Tout au long de cette réunion, l'accent a été mis sur un soutien vigoureux au système multilatéral fondé sur des règles, avec les Nations unies en son centre », mais dans le même temps (et au même endroit), par la voix du président de la Commission, José Manuel Barroso, l'Europe "envisage d'aller plus avant dans les relations commerciales bilatérales" avec la région la plus dynamique au monde. Ne pas s’emballer, parce que l’enjeu est d’importance. Le ministre de l'industrie et du commerce du Bénin, Moudjaidou Soumanou, ne l’oublie pas : en cas de nouvel échec « les pays pauvres seraient contraints à des accords bilatéraux, où règne la loi du plus fort. Au Bénin, 30% des planteurs de coton sont dans la misère à cause des marchés protégés ». Si les choses vont, à nouveau, plutôt dans le bon sens, rien n’est sûr et une deuxième déception est toujours possible.
En même temps, je n'ai jamais douté de l'obstination de Pascal Lamy, lui qui me semble assez représentatif de cette frange de hauts fonctionnaires, un peu semblable à la noblesse éclairée d'avant 1789, qui forcent la bête à aller de l'avant, à poursuivre la négociation.
Maintenant, pour l'Union Européenne, il sera toujours facile, si besoin est, de trouver des solutions de secours ; mais pour les cotonniers du Sahel, il n'y en a pas.
Rédigé par : Denys | 13 septembre 2006 à 21:11