Depuis quelques jours je découvre Ricœur dont je ne connaissais jusqu’à présent que le nom et, surtout une passionnante discussion avec Michel Rocard (THE Homme politique) parue dans la revue Esprit il y a une petite quinzaine d’années. A priori plutôt séduit par le bonhomme j’ai pourtant joué la prudence et, devant une oeuvre aussi imposante, ai préféré commencer l’ascension par les chemins plus accessibles du livre d’entretien. Mon penchant ne s’est pour l’instant pas amoindri, à mesure que j’avance me vient l’envie de m’attaquer à ses versants plus abrupts et, si je n’ai pas encore fini, j’ai déjà pu cueillir ici où là quelques pensées stimulantes.
Il y a par exemple dans son retour sur les années 30-40, de passionnantes réflexions sur les erreurs de jugement dont lui et certains de ses camarades avaient pu se rendre coupables durant les années d’immédiate avant-guerre. Il pensait notamment au pacifisme d’alors, à cette pensée « munichoise » qu’on nous ressort volontiers (à propos de l’Irak, du terrorisme,…) sans forcément beaucoup de pertinence mais sans en manquer absolument non plus. Car ce que peut nous apprendre cette époque, c’est que l’absolution par la mauvaise conscience, même justifiée (Hitler après tout ne fait que reprendre ce à quoi il avait droit, Ricœur se souvient notamment de la une du Crapouillot lors de l’occupation de la rive gauche du Rhin : « L’Allemagne envahit l’Allemagne ») peut-être suicidaire lorsqu’elle donne un blanc-seing aux puissances les plus dévastatrices. Même s’il faut être des plus précautionneux quand on se réfère a une période aussi tragique, il n’est peut-être pas inutile de garder ce précédent à l’esprit à l’heure où certains n’hésitent pas à défendre des gangsters pseudo marxistes, des despotes qui se griment en justicier ou des barbus qui ne jouent les victimes que pour en faire davantage.
Dire cela ce n’est pas forcément se placer du côté des "bourreaux", des "puissants" ou des "fascistes" (vous savez, le genre de qualificatifs que crachent aisément les révoltés avinés aux policiers qui les ramassent, aux patrons de bars qui ferment, aux riverains qui ont le sommeil fragile, aux salauds quoi) mais simplement, qu’à se focaliser sur les causes, à s’en enivrer dans une perspective rédemptrice, on risque tout bonnement de s'aveugler sur les effets et on se prive alors de toute possibilité d’action.
L’action, tiens ! Alors qu’on ne se satisfait pas de l’état des choses, qu’on considère le monde comme un vaste chantier dans lequel il y a tant et tant à faire, j’ai remarqué que faire preuve d’un peu de scepticisme devant l’enthousiasme à contester, à manifester, et la capacité, quasi réflexe, à dégainer à toute occasion son « y en a marre !», peut rapidement faire de vous un traître (mais les traîtres ne sont plus ce qu’ils étaient), un apôtre du renoncement. Comme je pense que l’audace, la volonté politique ne doivent pas non plus s’affranchir de la prudence ou, au moins, de la plus grande attention aux conséquences de ses actes, je vous laisse en guise de conclusion méditative à cette note, sans doute pleine d’un sérieux, parait-il, très masculin, cette autre réflexion de Ricœur : « Les faiblesses que nous reprochions à la République étaient aussi le produit des actions que nous menions contre elle. »
Ricoeur est effectivement un auteur majeur du XXe siècle. Mais il est aussi assez "difficile" et dans certains ouvrages, il faut véritablement s'accrocher. Cela ne se lit pas comme un roman.
Sur le fond, sa pensée est très stimulante, même si je ne suis pas toujours en accord avec ses positions, notamment sur l'épistémologie de l'histoire (j'ai lu la mémoire, l'histoire, l'oubli, qui est la synthèse de sa réflexion dans ce domaine historique). Un grand penseur quand même.
Rédigé par : authueil | 10 avril 2006 à 17:54
J'avais lu cet entretien avec Rocard dont vous parliez dans la Revue Esprit, mais j'avoue ne plus me souvenir de quoi il en retrournait.
Comme authueil, je trouve que ces textes sont quelques fois peu accessibles (en tous les cas pour moi, qui suis un profane en philosophie). Mais quand on le comprend, c'est vraiment du bonheur.
Le dernier numéro de la revue (mars-avril) est consacré à la "pensée Ricoeur" : un grand auteur, dans une très bonne revue, qui a fait beaucoup pour le faire mieux connaître
Rédigé par : somni | 13 avril 2006 à 10:57
La lecture de ses entretiens ne me déçoit nullement et même, pour l'instant, me comble.
Je pense franchement que je vais tenter prochainement les ouvrages "difficiles" (après tout la difficulté peut, dans une certaine mesure, faire partie du plaisir de lecture).
Merci Somni pour l'info sur le dernier numéro d'Esprit.
Rédigé par : aymeric | 13 avril 2006 à 11:27
Un peu de pub de la part d'un abonné ne peut faire de mal :-)
Rédigé par : somni | 13 avril 2006 à 12:04
LES FRANCAIS EN ONT MARRE SUR :
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Rédigé par : SERGE LAVIE | 31 mai 2006 à 23:45