Dans le cadre du cycle Grand Angle (Mécénat Altadis, République des idées, revue Esprit), une série de conférences se déroules ces jours-ci au collège de France. Le thème de cette année était : "Modèles sociaux en crise. Comment sortir de l'impasse ?". Et l’intervenant Gosta Esping-Andersen.
Le monde dans son édition de mardi a publié sous le titre Vers un Etat-providence centré sur l'enfance de larges extraits de l’une de ces conférences.
Un mot d’abord sur le terme d’Etat providence. Michel Rocard disait dans son dernier livre à deux voix : « L’allusion à la providence laisse supposer que cela tombe du ciel, ce qui induit comme effet pervers que l’on n'a plus envie de travailler. C’est donc pour moi un terme à bannir. Je crois d’ailleurs que le premier usage de l’expression, par un député à la fin 19e siècle, était péjoratif. […] La référence exacte de ce à quoi travaille la sociale démocratie est « l’état de bien être. » Je trouve que cette citation a le mérite de bien poser l’une des priorités du combat politique (tendre vers l’état de bien être ou « welfare state ») sans pour autant en occulter deux faces également problématiques : le coût (cet argent redistribué ne tombe pas du ciel) et les conséquences (les effets induits, possiblement pervers).
Dans cet esprit, le sociologue danois se montre convaincu de la légitimité de l’une des missions de la puissance publique qui est « de fournir un filet de sécurité et [d’être en mesure d’apporter] la conviction que le progrès social se poursuivrait de génération en génération, en particulier pour les couches les plus faibles de la société. » tout en ayant un regard critique sur les réussites et les impasses (évoquées toutes deux ici il y a peu) d’un système qui « s'est montré efficace dans la redistribution des revenus et la réduction de la pauvreté, mais a fait très peu, voire rien du tout, en matière d'égalité des chances (si l'on entend par là que tous partent du même point, indépendamment de leurs origines sociales). »
Partant de là Gosta Esping-Andersen fait une série de propositions qui, pour n’être pas initéressantes, loin de là, m’ont, je l’avoue, fait tiquer par endroits.
Commençons par les désaccords.
D’abord le titre en soi. C’est peut-être anodin mais le fait de se centrer uniquement sur l’enfance me gène un peu, d’une part parce que je trouve qu’il surfe sur le conflit générationnel qu’on nous vend ici ou là. Je ne vous cacherai pas que je suis toujours un peu méfiant quand on fait d’un groupe le responsable de tous (ou de la grande partie) des problèmes d’une société. D’autre part parce que ce qu’implique ce type de logique c’est souvent le sacrifice de la classe coupable au profit de l’autre et je trouve qu’il y a un peu de ça lorsque, partant du principe (attesté ?), que TOUT se joue dans les premières années de la vie, l’auteur balaye comme inefficace les « les remèdes sociaux mis en œuvre plus tardivement, comme l'enseignement pour adultes, les remises à niveau, les politiques actives du marché du travail ».
Faudrait-il considérer les capacités au changement ou à l’apprentissage comme absolument négligeables arrivé à l’âge adulte ? Et une telle condamnation de l’individu adulte aurait pour conséquence également d’aller précisément à l’encontre de l’idée de « filet de sécurité » propre au welfare state.
Dans le même registre d’idées, il suggère de renoncer aux soutiens passifs aux revenus, ce qui me parait pour le moins radical et difficilement envisageable, vues les conséquences potentielles de tels abandons. Certes, une nouvelle fois, il n’y a pas de repas gratuits et les dépenses publiques ne peuvent pas s’enchainer sans compter mais comment faire de l’économie de mesures aussi bien redistributives qu’incitatives comme la prime pour l’emploi.
Maintenant, agir sur l’enfance pour tenter de limiter les phénomènes de reproduction de la misère c’est pour le moins défendable. Car « un enfant grandissant dans un univers de pauvreté aura, en moyenne, deux années de scolarisation en moins que celui qui n'a jamais connu la pauvreté. A l'âge adulte, il gagnera 30 % de moins, en moyenne, que les autres. Et pire que tout, la probabilité qu'il devienne lui aussi un parent pauvre est très élevée. » Rien de plus légitime donc que d’opérer sur un terrain dont on sait qu’il est fragile et pour lequel on connaît déjà quelques moyens d’action efficaces.
Dans son étude sur l’influence des tailles de classes sur la réussite scolaire dans les ZEP, Thomas Piketty avait, par exemple, donné une piste intelligente pour investir dans la jeunesse.
Ici, Gosta Esping-Andersen estime que l’on peut éradiquer la pauvreté infantile pour un coût supplémentaire d'à peine 0,4 % du PIB. Tout ceci en privilégiant l’emploi maternel, en renforçant la richesse des héritages cognitifs et culturels (« Il existe néanmoins des solutions très efficaces pour égaliser le développement intellectuel. Il s'agit du développement des crèches et autres formes de gardes d'enfants, qui permettent accessoirement de réconcilier vie familiale et carrière professionnelle »), aide à l’autonomie financière de la mère (« Les mères se soucient généralement davantage du bien-être de leurs enfants que les pères. En travaillant à l'extérieur, elles gagnent du pouvoir au sein du couple, situation qui incitera les pères à consacrer davantage de temps et d'argent aux enfants. C'est l'autonomie financière des femmes qui accroît leur pouvoir de négociation, ce qui plaiderait plutôt en faveur du versement des prestations familiales sur le compte en banque de la mère. ».
De cette tribune, je dirai finalement que les propositions sont parfois un peu trop générales et ne semblent qu’esquissées (mais il ne s’agit après tout que d’extraits), qu’à faire de l’enfance une priorité on risque de tomber dans l’exclusif (même si le danger inverse est celui du saupoudrage de subventions qui deviennent du coup inefficaces, mais personne n’a dit que les choix seraient faciles) mais qu’elle a le mérite de s’attaquer à ce qui pèche chez nous et que définit ainsi l’auteur : « Le talent inné, le quotient intellectuel sont distribués de façon égale dans une population donnée. Mais il est clair que les chances ne le sont pas. »
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